Cette histoire se situe plusieurs dizaines d'années après la grande guerre affrontant les espèces affaiblies du monde face aux hordes de démons dirigées par l'unique roi d'entre tous, Cendre.
Affrontant le gardien de la Montagne sacrée, dont le pouvoir infini avait été assimilé par le seul être mi homme mi dieu à en être méritant : Flocon.
Ce dernier se sacrifia afin d'enfermer Cendre dans un tombeau de cristal au coeur du Mont. De cette décision, il laissa le monde être gouverné par des groupes de démons et de monstres, sans chef pour les gouverner, réduisant les peuples des hommes, des sorciers et biens d'autres, en de miséreux esclaves.
Depuis quelques années, un groupe de héros font trembler les forces démoniaques et se font appeler les Creiper. Voici leur histoire.
- Je me demande bien où sont partis les autres. Se demanda l’un des monstres assis à la table du tavernier.
- Profite donc de la chair humaine, elle est bien grasse celle-ci. Répond un autre en déchiquetant le bras frit qui lui a été servi.
- Tavernier, fit un troisième, prépares-en nous un autre !
On pouvait entendre les hurlements des prisonniers et les cris de pitié en arrière du bâtiment, où des bouchers aux crocs acérés venaient chercher les victimes pour les préparer aux clients. Après le craquement net d’un os, les cris des hommes cessèrent, et l’odeur du sang encore chaud parfumait l’antre où les bêtes affamées salivaient de plus bel.
Le portillon de l’auberge s’ouvrit interrompant le brouhaha ambiant. Entrant calmement, l’individu surmonté d’armures légères de la tête au pied, était muni de deux épées accrochées au dos, d’une arbalète optimisée et de couteaux à la ceinture. Son corps était recouvert de sang frais qui continuait de couler malgré qu’il s’avançât vers le bar.
Les monstres le regardaient, s’interrogeant pour certains, s’excitant pour d’autre à la vue d’un tel chasseur. Plus loin, des chuchotements grognant qu’il ne devrait pas sortir de cet endroit vivant.
- Grrr, je ne veux pas d’ennuis. Repartez immédiatement. Chuchota le tavernier à l’arrivant.
- De l’eau, fraîche. Lui répondit-il.
Une table bascula, puis une autre, et une horde de monstres se levèrent et sortirent leurs griffes.
- Que fais-tu ici, humain ? S’avança le plus grand et le plus robuste, dont la salive coulait jusqu’au sol. Tu n’as rien à faire ici. Tes congénères n’ont pas d’autres places qu’au garde-manger.
- De l’eau, fraîche, tavernier.
- M’ignores-tu ? Je vais me faire un plaisir de te bouffer tout de suite.
Les pas lourds firent tremblés le sol tandis qu’il s’avançait vers l’indifférent qui lui tournait le dos. Une forte respiration bestiale soufflait l’air ambiant.
- Tu vas mourir ici. Ricana la bête.
C’est alors que le tavernier, tremblant, fit glisser le pichet d’eau devant son client. Mais au moment de retirer sa main du gobelet, il croisa le regard de l’individu couvert de sang. Il aperçu la lueur flamboyante des yeux, et en tomba à la renverse devant toute la horde.
- Que t’arrive-t-il tavernier ? aurais-tu peur d’un humain ?
- C’est… c’est… c’est Ata…
Mais au même moment, la griffe acérée s’apposa sur l’épaule de sa cible.
- Nous sommes… fichus… Soupira le tavernier qui voyait le regard de l’être qui venait d’arriver commencer à briller d’une lueur brûlante. C’est Ataron Creiper…
L’eau du pichet se mit à bouillir ci-bien que le monstre se pencha pour regarder le phénomène tout en maintenant brièvement l’épaule de l’autre.
- Qu’est-ce que…
De l’extérieur, les quelques humains rescapés au bain de sang qui inondait la ruelle, virent des flammes gigantesques s’emparer du bâtiment où les monstres s’étaient attroupés. Des hurlements de bêtes émanaient de là et les quelques membres qui sortirent sur la terrasse fondaient sur le plancher rougeoyant. L’instant d’après, l’auberge s’écroula toute entière sur elle-même, et des hommes ou des monstres, seul le guerrier en sorti indemne.
- J’ai entendu les maîtres dire que des Creiper auraient refait surface. Dit une personne qui s’avançait vers la scène.
- Qu’est-ce que des Creiper, demanda un plus jeune ?
- Ce sont… des chasseurs de monstres.
Dans les montagnes du Nord, où régnaient jadis les géants, une rumeur se propagea aussi vite que souffle le vent dans les vallées voisines. La présence d’un être redouté par la population endossait la responsabilité de nombreuses disparitions et de très nombreuses victimes au sein des communautés de loups, d’ours et de chimères. Une dépêche du roi du conté fit partir une milice des meilleurs soldats de son royaume pour trouver l’origine du mal qui troublait l’ordre. Au nombre de vingt monstres entrainés et dotés de leurs capacités respectives de traceurs-chasseurs, ils s’aventurèrent loin dans les montagnes enneigées sur la piste du mal. Mais l’odeur de l’individu laisser dans les bois et les monts n’était pas connue des truffes qui cherchaient.
Après plusieurs jours de voyage, dévorant les quelques animaux sauvages qui vivaient reclus dans cet environnement désavantageux, la troupe atteignit un lieu très ancien et reculer du monde actuel. Les récits victorieux des monstres et des démons du passé, mentionnait cet endroit comme la Vallée des Pêcheurs. Mais au pied de celle-ci, au creux de deux chaines montagneuses, de gigantesques ruines de pierres, brisées en leur centre, surplombaient la voute intérieure.
Plus ils s’avancèrent à l’intérieur de ces terres désolées et recouvertes de neige, plus l’atmosphère semblait pesante. Leurs espèces dominaient toutes les autres à travers tous les continents, mais ici, si loin du royaume, ils n’en étaient plus sûr.
Arrivée assez loin, la troupe fit halte en apercevant de très nombreuses traces de sang encore humide, stagnant dans la neige fraîche, au pied d’une vieille ruine, dont les fondations ressemblent à celle d’une grande tour.
Dégainant leurs armes pour certains, ou leurs membres mortels pour d’autres, ils continuèrent d’avancer prudemment jusqu’à tomber nez à nez avec ce qu’ils cherchaient.
Devant eux, surplombant quelques marches gelées, se tenait un siège, un trône même, sur lequel se trouvait un être à l’apparence commune et où s’arrêtaient les traces rouges.
- Avons-nous fait tout ce chemin pour une humaine ? Interrogea déçu l’un des soldats.
Mais le chef de groupe, un grand ours à la gueule de cochon qui se tenait sur ses pattes arrière, restait prudent et s’avança une hache à la patte avant-droite et un bouclier dans l’autre.
- Qui êtes-vous ? S’exclama-t-il en direction de la femme.
Cette dernière se leva, sans arme, et descendit une marche après l’autre en direction de son interlocuteur, jusqu’à se trouver à hauteur de coup.
- Partez d’ici. J’ai assez tué des vôtres ces jours-ci. Partez avant que je ne change d’avis.
La truffe de la chimère s’emballa quand l’odeur qui se dégageait de l’humaine n’avait nulle ressemblance avec les esclaves du royaume.
- Nous avons été envoyés par le roi pour vous trouver. Qui êtes-vous ?
- Comment ? Pourquoi discutez-vous avec cet esclave capitaine ? S’impatienta un loup-garou qui griffait frénétiquement le sol gelé.
- Vous devriez tenir vos animaux. J’ai assez de quoi me nourrir pour toute une vie. Je n’ai pas besoin de cochon à ajouter à mon buffet ce soir.
Mais s’approchant à quelques centimètres du supérieur, la femme chuchota quelques mots tandis que ses yeux se mirent à briller d’une lueur bleuté intense que seul le capitaine pouvait observer :
- Je vous laisse vingt secondes pour déguerpir de ma vue, ou je vous tuerai tous…
- Qu’attendez-vous capitaine ? Repris le même insubordonné.
- Nous partons ! Nous partons !
- Capitaine ?
Toute la troupe se regardait, surpris, jusqu’au moment où leur chef leur fit face. Sa gorge était entourée d’un anneau de glace qui se resserrait doucement et commençait à l’étouffer. Sa peur l’agita et il se mit à grouiner de sa grosse truffe. Sa hache tomba au sol, puis son bouclier tandis que ses pattes d’ours
tentèrent d’enlever cette prison glaciale qui le faisait suffoquer.
- Les vingt secondes sont passées. Rétorqua la femme qui s’avança à hauteur de la chimère, la paume de la main grande ouverte à hauteur de la tête.
Sous l’attention ébranlé de tous les combattants, le poing de la main se referma aussitôt et la tête du capitaine fut séparée de son corps par cet anneau de glace qui la coupa nette.
- À qui le tour, chuchota-t-elle.
Le plus excité d’entre tous s’élança d’un bond puissant et rapide, et parvint à hauteur de l’assaillante. Son buste et sa tête fut instantanément transpercés de cônes de stalagmite qui le maintinrent en l’air.
Une chauve-souris s’élança dans les airs et survola leur cible, quand elle fit plomber au sol par des stalactites se formant au-dessus d’elle. Un autre couru à ras le sol pour atteindre les jambes de sa victime, mais la poigne de l’humaine l’attrapa à la gorge et la lui broya de sa seule force.
- Plus que seize.
Elle fit apparaître entre ses mains, un arc gelé dont les flèches en glace partirent sur chacune des têtes des autres bêtes, à l’exception d’une dernière chimère de loup et de tatou. Sa carapace fracassa aisément la rigidité des flèches ou des autres pointes gelées qu’elle lui envoya.
- C’est tout ce que tu sais faire, humaine ? Je serai grassement récompensé après avoir ramené ta tête au roi. Ton corps servira à nourrir ceux de ton espèce.
- Tu parles trop.
Se mettant en boule, il fonça sur son adversaire et broya tout sur son passage. Les carcasses de ses acolytes giclèrent de part et d’autre du chemin, jusqu’à ce qu’il percuta sa cible. Retrouvant sa forme normale, son regard resta figé et son corps tétanisé. La main avec laquelle elle avait broyé la gorge du loup-garou, le maintenait à distance de bras, et de l’autre, elle pourfendit sa carapace et traversa son intestin jusqu’au travers. Elle en ressortit peu après un léger sourire aux lèvres.
- Et dire que je voulais en garder un pour prévenir votre roi qu’Aana Creiper se rend au royaume… Tant pis.
Dans les marais du royaume, où les ossements des hommes et des femmes dévorés sont jetés, la maladie se répand dans les terres agricoles voisines où travaillent sans relâche les humains qui survivent à l’esclavage en souffrant du labeur pour le seul plaisir de leurs maîtres, les monstres. Mais les rois qui gouvernent toutes ces créatures ne sont autres que les démons qui, jadis, firent la guerre à l’humanité et affrontèrent la plus puissante force naturelle sous le seul signe d’un flocon de neige. Malgré leur victoire, il y eut de très nombreuses victimes des deux camps et le chef d’entre tous, le Roi Démon, fut terrassé. Les minorités furent exterminés et privé du pouvoir de leur chef, les démons perdirent la part de magie qui leur donnait la force d’être redouté.
Des décennies plus tard, sortant de la grande Faille qui séparait le monde en deux, apparurent des individus aux capacités uniques qui ne furent pas sans rappeler le signe du Flocon. Capable de maîtriser les éléments et possédant une force brute gigantesque, ils furent rapidement considérés comme les ennemis principaux de tous les continents. Des armées furent envoyées pour trouver et détruire ces surhommes et garder la suprématie démoniaque sur les terres.
Des seuls humains à avoir croisé leur chemin avant qu’ils ne disparaissent aussi vite qu’ils étaient apparus, partagèrent leur nom, Creiper, et dont leur but était clair : l’éradication des démons.
Malgré cette légère notion d’espoir, les humains en souffrirent bien davantage, subissant le courroux des monstres n’ayant pas retrouvés ces nouveaux ennemis. Des années passèrent sans aucune trace jusqu’au cinquième anniversaire de leur apparition. À ce moment, les premières rumeurs de leur retour débutèrent proche du plus grand marais du continent.
Quinze ans plus tard, le témoignage d’un homme, passé de mains en mains, conta ce qu’il avait vécu et pourquoi il considéra les Creiper comme ses héros :
« Le nom de mon père était Grellin. Comme je n’en avais pas reçu, j’emprunterai celui-ci pour raconter ce que j’ai vécu. À tous ceux et celles qui liront mon histoire, même si cela fait quinze ans que ça s’est passé, ne perdez pas espoir. Les Creiper sont parmi nous. Quand j’étais enfant, notre Maître, Davos, un cochon, avait l’habitude de dévorer régulièrement de jeunes enfants qu’il ne trouvait pas assez beau pour être dans sa collection d’humains. Ce jour-là, il avait prévu de me dévorer devant mes parents pour les punir de n’avoir pas fait naître un assez bel enfant. Et tandis qu’on me lâcha nu dans de la boue, ma mère et mon père furent attachés à un poteau et durent me regarder me débattre. Ce porc s’avança vers moi, la bouche en sang, où la tête d’un ami venait à peine d’être mâchée, et grogna en me dévisageant. J’entendais les cris et les pleurs de mes parents qui me sommaient de courir et de m’enfuir mais j’en étais incapable. Encore une fois, notre maître aurait ce qu’il voulait. C’était ce que je m’étais dit. J’eu voulu voir mes parents une dernière fois, et tournant la tête vers ma mère et mon père, je découvris que d’autres porcs mâchaient déjà les membres de mes parents qui ne faisaient plus de bruit. Il n’y avait rien pour défaire ce mal et mieux ne valait-il pas mourir que survivre ? Je n’étais pas maître d’en décider. Ce jour-là, quand la truffe de mon maître se posa sur moi, je pus sentir l’odeur fétide qui se dégageait de cette chose pour qui nous dévouions notre vie. Mais quand sa bouche s’ouvrit, ce ne fut pas pour me déchirer. Son regard se perdit bien au-dessus de moi, et de ma petite taille, renversé au sol, je vis grandir tout autour de moi une ombre de plus en plus grande. Elle cacha même la lueur du soleil et assombrit tout le domaine. Exténué, je me laissais tomber en arrière et pu apercevoir ce qui grandissait dans le ciel. C’était un arbre, un gigantesque arbre dont les branches poussaient de part et d’autre, et les feuilles vertes s’ouvraient sur la terre et attrapèrent tout sur leur passage. Des hommes et des femmes furent dévorées mais plus encore des monstres. Davos, quant à lui, fut écrasé, complètement aplati devant moi par ce qui s’apparentait à un pas de géant, un arbre gigantesque qui se déplaçait comme si une montagne avait pu marcher. Après quoi je m’évanouis et quand je me réveillais de nouveau, une femme parlait à de nombreuses gens. Ils la priaient tous de les aider et c’est à ce moment là que j’entendis pour la première fois ce nom. Un homme à genoux priait Siola Creiper de les aider… »
- Qu’est-ce que c’est que ça, esclave ! S’écria un monstre qui aperçut une mère qui lisait ce papier en cachette. Dire qu’il reste des humains capables de lire… Ne serait-ce pas la fameuse lettre du traître Grillin ?
- Seigneur, par pitié, épargnez-mon enfant, épargnez-moi. Je ne sais pas lire. Je ne sais pas de qui vous parlez. J’ai trouvé ça par terre.
- Tu me prends pour une idiote ?
La femelle attrapa le bras de la femme qui tenait la lettre et le la lui coupa avec ses griffes. La pauvre s’affala sur le sol en criant de douleur et se vidant de son sang, et son fils pleurait contre elle.
- Tu ne mérites pas mieux que d’être dévorée par les chiens ce soir. Réjouis-toi que ton fils leur serve d’encas. Ah ! S’amusa-t-elle en laissant tomber la lettre aux côtés du bras ensanglanté de la femme.
C’est alors que le ciel s’assombrit sur toute la ville du royaume marécageux et une brise légère fit lever la feuille imbibée. Elle voltigea et atterrit sur l’échine de la bête qui ricanait encore.
- Qu’est-ce que c’est ? S’interrogea-t-elle en attrapant le document.
Elle aperçut la lettre de Grillin entre ses griffes et soupira. Tandis qu’elle abaissa la patte vers le sol, sa vision se dégagea du bout de papier et aperçu quelqu’un courir dans sa direction. Elle n’eut pas le temps de distinguer les lames tranchantes tenues à hauteur de visage pour parer le coup qui la décapita avant que la feuille ne retombe sur le sol.
Beaucoup racontaient avoir croisé une armée, d’autres ne parlaient que d’un seul homme. Mais personne ne savait exactement de combien d’individus se formaient les Creiper.
Récemment, les rumeurs mentionnaient des apparitions dans des royaumes différents. Même les monstres en discutaient, et une liste officielle de noms fut affichée dans les rues. Ataron Creiper était en tête de liste et a été aperçu la même semaine. Après son passage, des corps calcinés d’humains et de monstres, mais aussi le roi de ces terres ne portant plus sa tête sur ses épaules ont été retrouvés. Considéré comme l’ennemi numéro un par les autorités démoniaques, il est facilement reconnaissable par sa tenue légère, ses deux épées et son arbalète. Le deuxième sur la liste est Caspar Creiper. Il n’y a aucun témoignage complet à son sujet, mais un homme aveugle affirma avoir croisé quelqu’un se faisant appeler comme cela. Cet aveugle se trouvait au milieu d’une hécatombe de rue. Les monstres éparpillés un peu partout autour de lui appuyait les dires de ce dernier.
Pour l’interroger, le roi le fit enfermer dans les cachots de son domaine et envoya ses meilleurs monstres pour vérifier l’authenticité de ses paroles. L’aveugle le savait, s’il mentait, il serait dévoré.
Mais au sein du bâtiment, aussi proche du seigneur de ces terres, cet aveugle, était en réalité très excité. Il tenta comme il put de se contenir, tant l’excitation d’être découvert l’amusa. Et tandis que de gros ours l’accompagnait jusque dans le cachot, il craqua et lâcha un sourire, puis se mit à rire.
- Qu’est-ce que tu as l’aveugle ? S’étonna le garde.
- Qui vous a dit que j’étais aveugle ? Soupira-t-il.
L’autre ours se pencha sur le visage de l’homme et aperçu ses yeux qui brillaient d’une lueur grisâtre.
- Les aveugles n’ont-ils pas les yeux gris ? Interrogea son acolyte.
- Laisse-le rire autant qu’il veut, on le laisse dans sa cellule.
Et entrant dans la pièce, il fut enfermé à l’intérieur et laisser dans l’obscurité.
Peu après, des boulons de la porte jusqu’à la serrure et la poignée, et chaque once de fer se mit à fondre et couler jusqu’au sol, formant peu à peu une boule grise métallique rouillée. L’homme la fit léviter devant lui, la fit virevolter afin de perforer la porte de sa prison de part et d’autre. Celle-ci s’effondra en lambeaux contre le sol et il en sortit calmement. Se dirigeant vers l’extérieur, empruntant les escaliers qui menaient à la cour, il perfora chaque ennemi qui s’opposa à son avancée. La balle fusait dans tous les sens, traversant sans résistance les crânes des monstres, détruisant les vieilles serrures et les verrous puis pourfendit les armes ou même les griffes de tous les ennemis qui tentèrent de l’arrêter.
Malgré que la cloche fût sonnée et que toutes les bêtes à disposition se mirent aux côtés de leur roi pour le protéger, rien n’arrêta la boule métallique qui fit jaillir la cervelle et le sang d’une centaine d’ennemis.
Quand il arriva enfin, seul, face au roi, il laissa tomber la boule sur le sol et fit la révérence puis se prosterna.
- Qu’est-ce que vous voulez ? Qui êtes-vous ? S’étonna le roi sans défense.
- Ce que je veux… Avoir mon nom en première place. Et pour cela, quoi de mieux que de tuer un démon parmi les rois ?
- Ah, un Creiper… Vous ne me faites pas peur. Mais laissez-moi vous mettre en garde.
- Dîtes toujours. Rétorqua-t-il en faisant léviter la boule métallique de plus bel jusqu’au visage de sa cible.
- Même si je ne serai pas là pour le voir, un pacte a été fait jadis. Si quatre des miens venaient à mourir, nous libérerons le seul vrai Roi Démon. Et vous périrez sous sa colère et sa rancune.
- Soyez rassuré, démon, nous les Creiper, sommes ici pour briser ce pacte et tuer une bonne fois pour toute votre véritable Roi.
Le corps tomba face contre terre, inerte.
« Ce jour est proche, nous devrions nous réunir à présent. »
« Pourquoi ce monde est-il amplis de désespoir. Comment des hommes et des femmes peuvent vivre enchaîner jours et nuits et être traités de la sorte ? Est-ce ainsi qu’était la vision de mère ? A-t-elle seulement eu une idée de ce que la paix signifiait pour ces gens ? Plus je traverse ces terres, remontant depuis de longues semaines ce grand faussé qui scinde ce continent en deux, je n’ai pas encore vu d’humains ou de nains qui soient libres. Plus encore, je ne compte plus le nombre de boucheries, de charniers et de maltraitances qui décomptent les peuples faibles. Je n’ignore pas ses enseignements, et je comprends pourquoi elle désignait toujours les Creiper comme l’atout du monde. Mais je ne mesurais pas jusqu’alors ce que ce terme signifiait vraiment. Je pense qu’elle n’en connaissait pas non plus sa véracité. Depuis que nous nous sommes mis en route et que les autres veulent accomplir leur destin, je ne cesse de découvrir un monde si mal interprété et me questionne sur tout ce que je croise. Pourquoi la vie de ces êtres est-elle si éphémère ? Pourquoi sont-ils si fragiles ? Ont-ils toujours été esclave de leur survie ? Et ces bêtes, sont-elles toutes comme elle nous les avait décrites ? Sont-elles toutes mauvaises ? Certaines n’ont guère de proie au bout d’une corde, d’autres ne sont pas agressifs quand ils en croisent plus libre que leurs congénères. Notre destinée est-elle juste ? Est-elle justifiée ? Les autres n’ont pas hésités et semblent se ravir de dévaster et de détruire, qu’importe si les victimes sont dans un camp ou dans un autre. Mais je ne peux tracer mon chemin de la sorte. Tous ne sont pas coupables des atrocités du passé. Les humains n’ont-ils vraiment rien fait ? Ma mère n’a-t-elle rien à se reprocher non plus ? Pourquoi participerais-je à ce bain de sang ? Est-ce cela d’être un chasseur, d’être un Creiper ? Je sais, mère, que tu me considérais, déjà tout petit, différents des autres. Ta sagesse et ta douceur n’était destinée qu’à moi et si tu pensais bien faire, les autres m’apprirent à grandir bien plus vite qu’ils ne le firent. Mère, je ne peux remplir la mission que tu nous as donné tant que je n’aurais pas vu de mes propres yeux les méfaits que tu dénonçais. Et si aucun de ces monstres, de ces démons, de ces ennemis ne prend jamais partis du faible, de l’Homme, du Nain ou de tous les autres, alors peut-être agirais-je en leur faveur. Mais ces derniers ne deviendraient-ils pas à leur tour des monstres ? »
Une paysanne, ensanglanté de la tête au pied dont la chevelure imbibée de chaire séchée s’affala à ses pieds. Elle releva la tête et tenta de demander de l’aide, criant son nom, criant qu’il pouvait la sauver de ces maîtres qui allaient la tuer.
- Par pitié, disait-elle en s’accrochant de toutes les forces qui lui restaient, à la jambe du penseur. Aidez-moi, ils vont me tuer. Vous êtes un Creiper, n’est-ce pas ? Oui ! Aidez-moi. Aidez-moi…
Un couple de monstre à la tête de cochons et au corps recouvert de membre humains s’approchèrent en ricanant. C’était là les principaux accoutrements qu’Eilon avait croisé depuis le début de son périple. Ces bêtes s’ornaient des os et des membres encore frais de leur esclave les plus réticents, voire des maris ou des femmes qui pouvait leur servir de mise en garde. La femme se mit à pleurer, elle était effrayée et à bout de force. L’odeur de l’urine qui s’échappait de ses cuisses, forte et mélangée à la saleté et au sang séché, semblait exciter les oppresseurs plutôt que de les répugner.
- Viens par-là, Cuissette, tu ne pensais tout de même pas que nous laisserions un aussi beau morceau de viande s’échapper. La faute à ton mari qui n’est pas assez tendre, expliqua le mâle.
- Il est temps de festoyer. Nous rôtirons tes membres et boirons ta cervelle pour accompagner le corps de ton idiot de mari, ajouta la femelle.
La femme s’évanouit face contre terre et laissa ses maîtres à la seule merci des songes du philosophe. Malgré qu’il ne fût pas surpris par la scène, il n’avait encore jamais été supplié. Peut-être aurait-elle dû se donner la mort, pensait-il. Mais le destin de cette proie n’était qu’une voie de fait parmi tant d’autres, et les monstres qui s’apprêtaient à la dévorer ne faisaient que se nourrir de leur bétail. Quel mal y avait-il à cela ?
Alors qu’il tenta de se dégager de la scène, les bras de la femme restèrent serrés autour de sa jambe. Même si elle n’avait plus la force ni de courir ni d’affronter son avenir, elle en avait assez pour se maintenir à lui.
« Est-ce cela à quoi tu pensais, mère ? La force qui réside dans l’espoir ? Est-elle comme ces victimes que tu voulais que je protège ? Devrais-je l’aider, pour toi ? Elle finira par mourir, si ce n’est aujourd’hui, sa faiblesse la trahira un jour ou l’autre. »
- Toute l’humanité… avait mis l’espoir… en vous… Creiper… fit tremblante la femme qui avait rouvert les yeux et ne retenait plus son otage.
- Toi là-bas, écarte-toi si tu ne veux pas finir comme elle. Elle nous appartient. Ordonna le mâle le désignant de la patte.
« Être l’espoir de l’humanité ? se questionna Eilon, les autres ne sont que des brutes. Ils ne pensent qu’à détruire, qu’importe qu’il s’agisse d’eux, d’elle, de moi. L’espoir ne peut se reposer sur des guerriers, elle devrait plutôt se lier à la pensée, à la réflexion, et à la dissuasion. Je vais vous montrer, mère, que la force n’est pas nécessaire à l’espoir. »
- Tu ne m’as pas entendu, misérable ? Bouge ou je te bouffe. Renchérit le mâle.
- Pourquoi pas, mon cochon, mangeons-les tous les deux. Il m’a l’air robuste.
Eilon enjamba la victime et se mit entre elle et ses propriétaires afin de convaincre qu’elle pouvait être libérée de cette condamnation pour cette fois. Y avait-il une raison valable pour qu’elle soit dévorée ? Son abus pouvait être punis, sévèrement, à leur guise, mais il défendit sa vie. Celle-ci même qui pouvait leur être utile jusqu’à leur prochaine fringale.
- Quel drôle d’individu vous faites. Vous parlez beaucoup, et seulement pour dire des sottises. D’où venez-vous avec votre grande gueule ? rétorqua le cochon qui couinait légèrement.
- Regarde-le mon cochon, reprit la femelle, il ne sait pas de quoi il parle. Il nous suggère d’économiser la viande, quel idiot. Ecoutez-moi bien, humain, nous mangerons cette idiote ce soir, et nous achèterons autant d’esclaves que nous le voudrons au marché de demain.
- Ce doit être un homme libéré par nos frères pour se permettent de telles bêtises. A sa place, aucun d’entre nous souhaiteraient survivre comme esclave. On pourra dire que cette Cuissette aura eu une once de courage et d’espoir avant de nous régaler. Couinait et riait le mâle.
« Était-ce cela que tu voulais me montrer mère ? Ai-je été aveuglé par mes songes ? Les hommes ne préfèrent-ils pas survivre quoiqu’il en coûte ? Toutes ces femmes, ces enfants, ces hommes qui tentèrent d’échapper à leur maître et qui se firent trancher devant moi, en pleine allée, étaient-ils tous à la recherche de l’espoir ? Me cherchaient-ils tous du regard pour que je leur vienne en aide ? Suis-je un monstre, mère ? »
Eilon s’agenouilla sur le sol, regardant ses mains qu’ils n’avaient jamais utilisé, se touchant les lèvres qu’il croyait savantes, sentit la terre molle qui absorbait le sang et l’urine. Il était le monstre qu’on lui avait appris à combattre, passif des atrocités qu’on lui demandait d’arrêter par les cris et les gestes. Qui était-il si ce n’était un cochon, un ours, un démon assoiffé de sang et de chaire ? Qui était-il si ne pas agir faisait de lui, le même monstre qui agissait pour son plaisir ? Il y songea jusqu’à ce que le couple soit à sa hauteur et attrapèrent les pieds de leur viande qu’ils se mirent à tirer dans le sens inverse. Passant devant lui, le penseur observa ce corps affaibli glisser sur la terre salie, les mains renversées, et les bras tendus dans sa direction. C’était là la dernière chose qu’il verrait de cette victime avant qu’elle ne disparaisse et que ses songes le rongent de remords.
- Arrêtez-vous. Dit doucement Eilon. Arrêtez-vous.
- Qu’est-ce que tu as dit ? Grogna le cochon.
- Je… Mère…
- Il délire. Il a l’air assez faible. Pourquoi ne pas le manger lui aussi ? s’interrogeait la cochonne.
- Vous m’avez laissé me questionner et comprendre… Je pensais savoir pourquoi… Je le sais maintenant, mère.
- Qu’est-ce que tu marmonnes ? S’énerva le premier.
- Il n’y a pas de valeur qui corresponde à une vie, n’est-ce pas, mère ? Ma vie, la leur, les leurs, la sienne… C’est l’espoir.
Eilon Creiper se releva et se présenta aux monstres sous son vrai nom. Sa voix calme et son ton sûr, il se concentra sur ce qu’il était et sur le destin qu’il voulait se tracer. Cette femme, expliqua-t-il, sera son péché et sa destinée. Pour pardonner ses actions, il protègera cette humaine et se repentira d’avoir laissé mourir les victimes passées.
- Eilon… Creiper… S’interrogea la femelle.
- Je n’ai jamais entendu ce nom. Ces rumeurs montent à la tête de tous les humains du coin. Ricana le conjoint.
Muni de ses convictions, il s’avança vers eux, et d’un geste rapide comme l’éclair, il fit disparaître les deux bestiaux.
« J’ai toujours refusé d’agir, mère. J’ai rompu la promesse que je vous avais faite dès le premier jour. Puisses-tu me pardonner et accepter que je répare mes fautes. Les autres rempliront la tâche que tu nous confias, quant à moi, je ferai acte de rédemption. »
Il prit la femme dans ses bras et disparu en un instant. Quelques minutes plus tard, où le sang et l’urine séchaient au soleil, les cadavres des cochons s’écrasèrent sur le sol, en morceaux. Seules leur queue en tire-bouchon étaient restées complètes.