Introduction
Flocon et son épée ont passé près de 5 siècles à errer à la recherche de leur mémoire. Lui, est conscient qu’il n’est pas un simple humain, dont sa longévité est unique, et l’épée reconnait sa force et ne saurait expliquer ce qu’elle est vraiment. Un esprit enfermé dans cet objet ?
Après avoir été empoisonné par les rencontres du passée, Flocon se réveil dans l’obscurité d’une grotte où il aura trouvé refuge durant de longues années. Qui étaient ses poursuivants ? Qui cherchaient à le tuer ? Comment s’est-il retrouvé dans ce lieu ? Toutes ces questions ne font pas partie de cette histoire. Son futur par contre, en est le principal sujet.
L’orage grondait et une pluie torrentielle déferlait sur toute la région. Le vent faisait danser la cime des arbres et plier les hautes herbes, s’engouffrant au cœur des vallées jusqu’aux interstices de profondes cavernes rocheuses.
A l’intérieur de l’une d’elle, un homme profondément endormi entendit une voix faire écho :
Lame affutée, tunique rincée, regard décidé, capuche dépliée, il s’engouffrait dans la forêt dense, humant chaque parfum, reniflant chaque herbe, caressant toutes les écorces des bois, éveillant ses sens endormis, à l’écoute des bruits de la faune et de la flore, se gorgeant de la chaleur des fins rayons qui pénétraient difficilement les cimes. Cette terre n’était plus aussi verdoyante qu’il pouvait s’en rappeler. Les chênes qui dominaient par le passé ces forêts de feuillues avaient laissé place aux bois blancs.
Il traversa les rivières asséchées, les sentiers abandonnés, marchant toujours dans la même direction ne sachant d’où il était parti. Plus loin encore, où le souffle du vent s’intensifiait et laissait présager l’orée, il contourna une grande marre dont l’argile visible avait marqué de nombreuses traces inconnues. De l’autre côté, il entendit des cris au loin. Les bruits se rapprochaient de sa position ci-bien qu’il engaina la poignée de son épée rangée.
De qui pouvait-il bien s’agir ? se demandait-il face au danger qui s’approchait.
Bientôt une silhouette fit son apparition, puis une autre, puis un groupe d’individus qui arrivaient face à lui. Au-devant, un enfant, une jeune fille, pourchassée sans doute, qui arrivait à sa hauteur, le suppliant de l’aider, de la secourir. Elle se cacha derrière lui, agrippant fermement son habit. L’homme sentait qu’une menace s’approchait d’eux, une menace qu’il ne saurait expliquer mais qui semblait abriter et régner sur ces bois.
Le groupe d’individus arrivait à sa hauteur. Ils n’étaient pas humains. Ils ne craignaient guère de se montrer tels qu’ils étaient, à la gueule écrasée, aux yeux presque noirs, aux épaules robustes et gonflées, vêtues d’armures entremêlées de tissus et de bois. Monstres à la posture humaine, ils portaient l’accoutrement de soldats et tenaient leur hache affutée entre leurs petites griffes au bout de membres irréguliers.
- Écarte-toi inconnu ! dirent-ils d’une voix rauque en s’avançant vers lui.
- Ecarte-toi, cette proie est nôtre. Si tu ne veux pas qu’il t’arrive malheur, écarte-toi, humain.
Mais l’homme serra la fusée de son épée, il ignorait s’il était doré déjà capable de se battre mais il se refusait à fuir. Ils s’arrêtèrent.
- Qui es-tu pour oser nous défier ? demanda le plus en avant du groupe.
- Qui êtes-vous ? rétorqua l’homme. Ou plutôt, qu’êtes-vous donc ?
Les trois monstres et la jeune fille s’étonnèrent de la question. Quelque chose d’étranger à tout ce qu’ils avaient pu rencontrer se dégageait de cet épéiste à l’allure mystérieuse.
- Je vous le dis. Si vous approchez d’un pas de plus, vous ne verrez pas l’aube se coucher. reprit-il avec intimidation.
Il tenait la poignée de son épée dont il s’étonna, sans ne rien montré, de la légèreté d’une lame aussi longue et affûtée à bout de bras.
- Nous sommes trois et tu es seul. Tu seras puni pour ce parjure, comme tous les autres. Personne ne se met en travers de la volonté de Dominus. Nous te dépècerons et livrerons l’esclave au maître !
L’homme sentait sa cape trembler sous les petites mains de l’enfant terrorisé. Il voulut s’abaisser à sa hauteur pour la rassurer mais au même moment, le premier des monstres l’attaqua. Avec agilité et rapidité, la lame sortit de la chape et trancha les deux membres supérieurs qui s’abattaient sur le guerrier. Ce dernier fit de nouveau face à l’adversaire et le fendit aussitôt en deux. Le tranchant de l’épée scinda l’armure et le corps sans aucune résistance. L’épéiste avait à peine réagit que son corps se mouvait de lui-même, comme s’il avait toujours combattu et qu’il maniait l’art de l’épée avec aisance et facilité. Il s’étonna de ce reflex technique et contempla son épée avec joie.
Lame affutée, tunique rincée, regard décidé, capuche dépliée, il s’engouffrait dans la forêt dense, humant chaque parfum, reniflant chaque herbe, caressant toutes les écorces des bois, éveillant ses sens endormis, à l’écoute des bruits de la faune et de la flore, se gorgeant de la chaleur des fins rayons qui pénétraient difficilement les cimes. Cette terre n’était plus aussi verdoyante qu’il pouvait s’en rappeler. Les chênes qui dominaient par le passé ces forêts de feuillues avaient laissé place aux bois blancs.
Il traversa les rivières asséchées, les sentiers abandonnés, marchant toujours dans la même direction ne sachant d’où il était parti. Plus loin encore, où le souffle du vent s’intensifiait et laissait présager l’orée, il contourna une grande marre dont l’argile visible avait marqué de nombreuses traces inconnues. De l’autre côté, il entendit des cris au loin. Les bruits se rapprochaient de sa position ci-bien qu’il engaina la poignée de son épée rangée.
De qui pouvait-il bien s’agir ? se demandait-il face au danger qui s’approchait.
Bientôt une silhouette fit son apparition, puis une autre, puis un groupe d’individus qui arrivaient face à lui. Au-devant, un enfant, une jeune fille, pourchassée sans doute, qui arrivait à sa hauteur, le suppliant de l’aider, de la secourir. Elle se cacha derrière lui, agrippant fermement son habit. L’homme sentait qu’une menace s’approchait d’eux, une menace qu’il ne saurait expliquer mais qui semblait abriter et régner sur ces bois.
Le groupe d’individus arrivait à sa hauteur. Ils n’étaient pas humains. Ils ne craignaient guère de se montrer tels qu’ils étaient, à la gueule écrasée, aux yeux presque noirs, aux épaules robustes et gonflées, vêtues d’armures entremêlées de tissus et de bois. Monstres à la posture humaine, ils portaient l’accoutrement de soldats et tenaient leur hache affutée entre leurs petites griffes au bout de membres irréguliers.
- Écarte-toi inconnu ! dirent-ils d’une voix rauque en s’avançant vers lui.
- Ecarte-toi, cette proie est nôtre. Si tu ne veux pas qu’il t’arrive malheur, écarte-toi, humain.
Mais l’homme serra la fusée de son épée, il ignorait s’il était doré déjà capable de se battre mais il se refusait à fuir. Ils s’arrêtèrent.
- Qui es-tu pour oser nous défier ? demanda le plus en avant du groupe.
- Qui êtes-vous ? rétorqua l’homme. Ou plutôt, qu’êtes-vous donc ?
Les trois monstres et la jeune fille s’étonnèrent de la question. Quelque chose d’étranger à tout ce qu’ils avaient pu rencontrer se dégageait de cet épéiste à l’allure mystérieuse.
- Je vous le dis. Si vous approchez d’un pas de plus, vous ne verrez pas l’aube se coucher. reprit-il avec intimidation.
Il tenait la poignée de son épée dont il s’étonna, sans ne rien montré, de la légèreté d’une lame aussi longue et affûtée à bout de bras.
- Nous sommes trois et tu es seul. Tu seras puni pour ce parjure, comme tous les autres. Personne ne se met en travers de la volonté de Dominus. Nous te dépècerons et livrerons l’esclave au maître !
L’homme sentait sa cape trembler sous les petites mains de l’enfant terrorisé. Il voulut s’abaisser à sa hauteur pour la rassurer mais au même moment, le premier des monstres l’attaqua. Avec agilité et rapidité, la lame sortit de la chape et trancha les deux membres supérieurs qui s’abattaient sur le guerrier. Ce dernier fit de nouveau face à l’adversaire et le fendit aussitôt en deux. Le tranchant de l’épée scinda l’armure et le corps sans aucune résistance. L’épéiste avait à peine réagit que son corps se mouvait de lui-même, comme s’il avait toujours combattu et qu’il maniait l’art de l’épée avec aisance et facilité. Il s’étonna de ce reflex technique et contempla son épée avec joie.
Le guerrier ayant revêtu sa tunique et rattaché son arme, s'avançait à l'avant du convoi armé. Au milieu de la marche, escorté de deux douzaines de soldats, il songea à ce qu’il venait d’accomplir. Cette force, ce pouvoir de persuasion dont il avait usé, il n’était pas certain de le comprendre.
Narak quant à lui, juste derrière l'homme, ne cessa de se demander ce qu'il arriverait une fois que l'humain serait arrivé au château. La force de cet inconnu ne semblait pourtant pas valoir la profonde peur qu’il avait envers son seigneur. Sa vie serait-elle en danger, perdrait-il sa place de commandant ?
- Vous savez, dit l’entouré en penchant la tête vers le côté pour se faire entendre, s'il est arrivé malheur à cette jeune fille, je vous prendrais tous pour responsable.
Son assurance étonna la troupe dont les membres resserraient leur arme. Mais derrière ce masque de confiance en soi, il ne s’expliquait pas ce qu’il vivait depuis son réveil.
- Dominus est le seigneur de tous les royaumes. Les humains sont tels des brebis qu'il a apprivoisée pour nous divertir. Depuis notre arrivé en ces terres incertaines il y a un an, nous n’avons rencontré aucune résistance que notre seigneur ne soit capable de rompre. Il saura vous briser là où j’ai échoué. Vous autres humains êtes si fragiles. Lâcha Narak.
- Qui est ce Dominus ? A quoi ressemble-t-il ? A sa mort, je trouverais bien les réponses à mes questions.
- La mort de Dominus ! Interpela Narak, vous mourrez avant d'avoir pu y songer à nouveau, humain. Sa puissance est au-delà de tout. Si c'est cela votre plan, je suis rassuré de vous y conduire.
Bientôt ils arrivèrent devant un ravin surmonté d'un pont de pierres taillées avec soin et dont la couleur cuivrée donna de l'éclat à toute la structure qui s'érigeait devant eux. En contre-bas l’eau ruisselait jusqu’à la muraille, et celle-ci plus haute que la cime des arbres de la forêt, rapetissait de plusieurs pouces les gardes qui, là-haut, les surplombaient. Un pont levis terminait l’accès jusqu’au fort et des mâchicoulis à l'apparence d'aigle se penchaient nettement au-dessus de la herse entre les tours à bec. Les meurtrières quant à elles se répétaient sur les flancs et tout autour de l'enceinte.
Narak s'avança au-devant et fit briller une amulette qu'il gardait autour du cou sous son armure. Réfléchissant la lumière du soleil, il fit ricocher un faisceau en direction d'un individu précis qui portait une tenue rouge pour être différencier de tous les autres malgré la hauteur. Ce dernier, commandité pour ouvrir la herse, s'exécuta. L'immense grille métallique se souleva doucement dans un brouhaha de frottements rouillés. De l'autre côté les sentinelles s'approchaient du convoi.
- Narak ! S'exclama un guetteur, vous n'étiez pas attendu avant demain.
Il s'avança et aperçut l'homme armé derrière lui :
- Que fait cet humain ici ? Garde !
Voyant le cortège se repositionner pour l'entourer, l’épéiste constata que le pacte qu'il avait passé avec le commandant était sur le point de s’achever. Mais contre toute attente, le chef prit la parole et expliqua qu'il avait pour devoir de l'apporter devant le seigneur. Peut-être avait-il pré-senti que de rompre leurs conditions n'engrangerait qu’une tuerie.
Il fit signe aux soldats de baisser les armes et s'occupa lui-même d'accompagner l'intrus jusqu'au souverain.
- Vous avez bien fait de respecter notre accord, Narak. Intimida-t-il malgré le nombre impressionnant de monstres et l’organisation dont ils faisaient preuves.
- Je ne l'ai pas fait pour vous, humain. Je sais que Dominus vous réduira au silence de lui-même.
- Comment avez-vous pu assiéger un pareil endroit ?
- Assiéger ? Lorsque nous sommes arrivés, le seigneur de ces terres était bien crédule de croire que notre différence s’arrêtait à notre apparence. Pour lui rappeler que sa condition humaine est une plaie, nous le gardons en vie, enfermé depuis notre arrivée.
A l’intérieur de l’enceinte, ils traversèrent les camps sur du pavé maladroitement posés à plat, passèrent devant des fermes construites de graie et de silex où étaient enfermés le bétail et dont l’odeur justifiait une boucherie déguisée. Ils contournèrent les grilles suspendues au-dessus des cachots souterrains et se présentèrent au bas d’un escalier dont l’apparence témoignait d’un désintérêt total pour le convenable.
- Toutes ces constructions faites par des hommes. Malgré leur faiblesse, j’admets qu’ils sont utiles et obéissants. Ajouta mesquinement le commandant.
Ils entamèrent tous les deux la montée des marches qui s’érigeaient jusqu’au pied du fort. Là-haut, l’homme apercevait déjà qu'une garde plus robuste, armées de faux et de plastron de fer, surveillait quiconque pénétrait dans l’arrière-cour, certainement proche du trône.
- D’où venez-vous ? demanda-t-il à son guide tandis qu’ils arrivèrent bientôt à la fin de l’escalier.
Le commandant, qui de sa petite taille avait du mal à monter toutes les marches à la même vitesse que son prisonnier, s'arrêta sur l'une d'elle et répondit :
- La garde vous amènera jusqu'au roi. J'attendrais de voir votre tête sur l’un des piquets du parvis dans les minutes qui suivront.
- Ne vous fatiguez pas, je vais finir de monter ces marches. Vous pourrez m'attendre en bas avec la tête de votre chef sur ces fameux piquets. Reprit-il calmement.
Narak lui fit remarquer qu'il devait laisser son arme avant de continuer à avancer.
Décidé à atteindre son but, l’homme lui laissa sa ceinture sur laquelle son fourreau était encore accrochée, puis de sa voix ténor légère, il ajouta devoir en prendre soin s’il ne voulait pas des représailles de sa part.
Face à la garde du seigneur, Narak expliqua tout au sujet du prisonnier. Ce dernier fut conduit à travers une nouvelle muraille, plus basse mais plus fortifiée, au-delà de laquelle se trouvait une grande cour circulaire où de grands pieux étaient plantés tout autour avec les cadavres de nombreux hommes et femmes, gisant sous le regard amusé des soldats et meurtris des esclaves. Sur certains d’entre eux, des corneilles picoraient la chaire purifiée.
A gauche de la place, des cellules enfoncées à mi-hauteur dans le sol et dont on voyait les barreaux à hauteur de bottes. A droite, une forge ouverte dont les armes et les armures forgées étaient disposées sur des étendoirs de bois. Là, les hommes martelaient le fer et rinçait les lames brûlantes. L’ambiance se faisait dans un silence morbide. Les créatures de l’endroit regardaient avec curiosité l’avancée de l’escorte qui se dirigeait au centre, vers la grande porte boisée derrière laquelle se trouvaient les quartiers du seigneur Dominus.
Quand ils entrèrent, un grand bruit de grincement alerta les occupants. A l'intérieur l’homme reconnu l’autre chef qui avait pris avec lui la jeune fille plus tôt. Il était là, prosterné devant le seigneur qui leur tournait le dos. Ils se parlaient mais la distance rendait inaudible leur conversation.
De loin, tous deux avaient une apparence plus qu’humaine ; le premier était balafré de la tête au pied de cicatrices en tout genre, et à peine vêtu si ce n’était d’une peau humaine à la taille, toutes les marques restaient parfaitement visibles. L’autre, debout, respecté de tous, portait une tenue ample qui recouvrait ses épaules et ses bras. Sa tenue faisait penser à celle d’un paysan à laquelle l’or aurait été forgé pour embellir sa tunique. D’une chevelure mêlant le châtain au gris, il apparaissait être humain de dos, mais à la place de mains, c’étaient bien des griffes aux reflets métalliques qui trahissaient sa vraie nature.
- Sire ! interrompit un garde, voici un homme livré par le commandant Narak.
Le monstre à genou se retourna en même temps que le souverain. Ils regardèrent tous deux l'individu se dresser devant eux.
- Ce doit-être l'homme de la forêt qui apporta son aide à la jeune fille, majesté. Reprit l'individu à hauteur de son souverain.
- Avancez, humain. Ordonna Dominus d’une voix grave en se retournant.
L’intéressé s’exécuta. Il ne regarda pas tout de suite le visage de son interlocuteur, mais davantage la formidable construction de la voute de la salle. Le vitrail orné de décorations sombres, les colonnes majestueuses se dressant sur toute la hauteur, et le lustre forgé sur lequel évoluaient quelques flammes encore chaudes des bougies fondantes. La cire liquide tâchait petit à petit le tapis mauve sur lequel il marchait.
Il tourna la tête en direction du chef et de son acolyte :
- Je suis ici pour la jeune fille. Veuillez la libérer. dit-il distinctement en prenant le temps de peser chaque mot.
La bête qui s’apparentait à un bras droit se redressa à son tour et s'interposa entre son roi et l'étranger :
- Ah ! Vous n'êtes ni le bienvenue ni en position de demander quoique ce soit en cette demeure, esclave. Quelle folie vous a mené jusqu'ici ?
Le seigneur, qui semblait avoir adopté jusqu’au comportement humain, s'avança d'un pas en faisant un geste à ses gardes d’aller chercher ses proies, puis reprit face à l’arrivant :
- Vous dîtes, jeune humain, que vous êtes ici pour une fille ? De laquelle s'agit-il ? Demanda-t-il en montrant du doigt l'ensemble des demoiselles amenées devant eux.
L’homme s'avança vers la jeune fille qu'il avait rencontrée plus tôt. Aussitôt les gardes se mirent en position, des dagues sur la nuque de chacune d’elles.
- Vous voyez, dit fièrement le puissant, vous avez beau être face à elle, vous ne pouvez rien faire. Si vous tentez quoique ce soit, nous leur trancherons la gorge à toutes. Si vous résistez, nous les tuerons. Alors oublions votre idiote audace et je vous accorderai une mort digne de votre espèce. Vous serez pendu dans quatre jours après que notre cher Ixion nous ait régalés de votre médiocrité.
L'homme retint sa colère et sentit que toute la puissance qui avait pu émaner de lui plus tôt n’était plus accessible devant ce Dominus. Cela l’intrigua autant qu’il s’en terrifia. Mais pour rien il ne voulait risquer la vie de ces filles et décida d'abandonner le combat et de se rendre sans résistance.
Aussitôt enchaîné et amené dans les cachots, l’odeur de la putréfaction des corps d'un charnier non loin empestait dans tous les couloirs.
Sa cellule donnait à mi-hauteur sur la place d’où il pouvait observer le déplacement des corps et s’horrifier des étendards humains. A l'intérieur, un homme plongé dans l'obscurité gisait presque mort. Enchaîné lui aussi, il fit un effort pour se redresser. Sa voix était faible, son corps semblable à celui d'un squelette, il survivait avec les peu de vivres qu'on lui apportait chaque jour :
- Un autre...
Il se déplaça dans la cellule, menotté, s'approcha de l'ouverture barricadée, puis des murs, puis de la porte.
- Impossible de sortir de là. Pensa-t-il.
- Cela fait un an que je suis enfermé ici...
L'étranger se retourna cette fois-ci face à l'obscurité dont il n'en voyait dépassé que les deux maigres jambes.
- Cela fait longtemps que je n’avais plus vu d’autre... S’arrêta l’inconnu.
S'avançant jusque dans l'ombre et s'habituant au manque de luminosité, l’arrivant ajouta :
- Vous semblez bien faible, vieil homme.
- Qui êtes-vous ?
- Je viens d’être fait prisonnier.
- Un condamné... pas un prisonnier.
- Plus pour longtemps. La chance tourne. Je reprendrais le fort et libèrerais les filles. Je vous sauverai aussi, vieil homme.
- Impossible...
- Ayez confiance. Je ne serais pas enfermé ici longtemps.
- Impossible que vous en sortiez vivant, les condamnés sont des garde-manger, si ce n’est pour assouvir leur perversion.
- Que dîtes-vous ?
- Cela fait trop longtemps que je suis ici. J'en oublie la raison. Mais personne ne viendra sauver quiconque. Vous serez torturé, c’est certain.
- Je ne les crains pas. Je me suis fait une promesse. Je ne mourrai pas avant de la remplir.
- La mort semblera plus douce, si vous l’acceptez...
- Cesser de dire cela, vous verrez.
- Quand devez-vous mourir ?
- Comment ?
Le condamné s'accouda contre le mur, là où était l’individu :
- Vous m’embarrassez vieil homme, reprit-il, quel est votre nom ?
- Eionée, je crois.
- Pourquoi êtes-vous maintenu en vie quand tous les autres sont tués ?
- Je ne sais pas. Tous les jours, à l'aube, l'un de ces monstres m'apporte un bol de soupe et un morceau de viande. Jamais je ne touche à la viande, je suis persuadé qu'il s'agit là de chair humaine. Je survis pour je ne sais quel projet.
- N'avez-vous jamais vu aucun prisonnier en ces lieux ?
- Ils pillent les villages, asservissent les humains, tuent les résistants. Personne n’est jamais emprisonné. Jamais pour longtemps. Ce cachot est resté vide de ma seule présence depuis de nombreuses lunes. Je me souviens à peine du temps où je vivais en dehors de ces quatre murs. Puis il y a eu cet étrange oiseau coloré la nuit dernière… et vous voilà dans ma cellule. Je me demande de quoi cela peut être annonciateur.
- Un oiseau vous-dîtes ?
Un bruit vint du couloir. La porte s'ouvrit. Le bras droit du seigneur, le commandant en chef qu’il avait vu plus tôt, se tenait devant les prisonniers :
- Ces trois prochains jours, humain, vous serez mon cobaye et vous serez torturé selon la volonté de notre seigneur Dominus, sur la place. Ces trois jours, vous verrez la potence se rapprocher de vous. Le premier jour, vous résisterez à tomber, ils le croient tous. Mais je m'occuperais de vous comme il se doit. Le second jour, vous souffrirez des douleurs endurées. Vous craquerez. Le troisième jour, vous implorerez d'être pendu sur le champ, et votre sang inondera les pieds des filles que vous étiez venus sauver. Le quatrième jour, vous serez amené sur la potence, et la fille que vous avez désignée sera votre bourreau. Vous serez pendu par ses propres mains.
Souriant, il referma la porte à clef et partit :
- Vous serez donc torturé pendant trois jours et pendu le quatrième. Reprit Eioné.
- Qui était-il ?
- Mais vous le supplierez d'être tué dès le premier.
- Je ne crains pas la douleur, vieil homme, qui était-il ?
- Ixion est la plus redoutable monstruosité qui m'a été donné de connaître. Les soldats le craignent. Je les entends parler des activités qui occupent son temps. Leur seigneur, ce démon Dominus, il doit être pire encore.
- Le démon ?
- A l’instar des autres, cet être est plus fort, plus puissant et à l’allure étrangement humaine, m’a-t-il semblé observer. Expliqua le vieil homme.
- D’où viennent-ils ? Ai-je dormi d’un sommeil interminable ?
- Qui êtes-vous ? Comment pouvez-vous ignorer leur présence ?
- Qui suis-je ? Je n’arrive pas à me le rappeler.
Eioné, tremblant de faiblesse, tendit ses bras pour sentir le candide, rassuré de ne pas être devenu totalement fou. Il reprit :
- Cinq années. Cela fait cinq années que des monstres sont apparus de nulle part, attaquant les villages, tuant toutes les vies innocentes de ces contrées. Beaucoup d’entre nous sont partis au Sud ou au Nord pour trouver des royaumes armés, mais ici, j’ai été naïf. Nous ignorions à quoi ressemblaient ces monstres et crédules, j’ai ouvert les portes aux ténèbres. Vous ignorez qui vous êtes et pensez être capable de sauver quelqu’un ? Tentez d’abord de vous sauver.
pierres des murailles, atteignant le sol boueux de la place, accédant aux grilles à hauteur de terre qui donnaient sur les cellules où les fronts des détenus s’éclairèrent de cette nouvelle lueur.
La porte de la cellule s'ouvrit avec fracas. Le prisonnier, prêt, fut amené, menotté, sur la place du fort par deux soldats qui l'attachèrent à deux poteaux éloignés. Sa cape et sa soierie lui firent enlevées. A peine éveillé, il sentit les maillons de ses chaînes le tirer de part et d'autre de son corps, l'empêchant de plier les bras. Ses genoux au sol, il leva son regard devant lui. Une foule de soldats monstrueux étaient déjà là, le dévisageant avec plaisir.
Le maître de torture s'avança jusqu'à sa hauteur :
- Aujourd'hui, fiers soldats, vous allez assister à l'un de mes nombreux pêchés. Le plaisir de donner le fouet ! S'écria Ixion brandissant son outil et le faisant claquer en l’air comme au sol.
Il s'éloigna de quelques mètres à l'arrière de l’homme et le fit claquer de nouveau pour défaire la psychologie de sa victime. Le son résonna dans toute l'enceinte. Le détenu se maintint debout et scruta chaque visage de la foule devant lui cherchant un visage familier. Le premier coup de fouet le percuta. Il ne réagit point. Le contact lui brûlait la peau mais seul une marque rouge apparue sur son dos. Un deuxième coup vint le fouetter proche du précédent, sous l'omoplate gauche. Encore une fois, il ne laissait rien paraître, le fouet n'entacha pas son dos de sang. La peau s'était épaissie avec les âges et les combats. Les coups suivirent, méthodiquement, au même intervalle et dans toutes les zones de son dos, mais l'homme ne fléchissait pas. Il avait chaud et la sueur se mêlait à l’humidité de la brume matinale. La vingtaine venue, la chaleur provoquée par les chocs le brûlait sur toute la surface de l'échine mais aucune once de sang ne coulait de son dos.
Les monstres autour de lui s'impatientaient de le voir faiblir et commençaient à s'interroger sur la méthode. Ixion s'en étonna à son tour et choisi de changer d’objet. Il s'arrêta de fouetter, se retourna et alla à l'armurerie.
- Vous êtes résistant, humain ! S’exclama-t-il avec un nouveau fouet à la main. Je pensais utiliser cette optimisation demain, mais vous semblez en avoir besoin dès aujourd'hui !
Il déroula son arme qui, touchant le sol sonna d’un ton métallique. Le fouet laissait apparaître une lame dentelée permettant de couper la peau, voire de la déchiqueter si le coup venait à s'enfoncer trop loin dans la chair.
- Reprenons ! Je m'approchais de la dizaine intéressante ! Reprit le tortionnaire.
Au même moment, Narak fit son apparition dans la foule. Le condamné croisa immédiatement son regard et ne le lâcha plus. Il lui souriait même, comme pour le rassurer de sa mise en garde, qu'il viendrait chercher son arme coûte que coûte. Mais quand le premier claquement de cette nouvelle série retentit, la lame coupa le haut de l'épaule. Le sang se mit à couler devant les gueules excités des spectateurs. Une lame ? Se demanda l’homme écorché.
Un deuxième coup puis un troisième, reprenant un intervalle régulier. Le sang commençait à jaillir sur le sol. Les muscles se déchiraient un par un sous la découpe et se contractaient de douleur. Les dents de l'arme le tranchaient de l'intérieur ci-bien qu’il tomba à mi-hauteur, retenu par les chaînes. Il contracta une dernière fois ses muscles et se retint de hurler.
Narak l'observa amuser. Lui qui fut traité comme un moins que rien, il prenait sa revanche et senti qu'il ne risquait désormais plus rien. Dominus était de toute puissance et Ixion, son servant bras-droit allait tuer cet homme. Bientôt il serait débarrassé de cette mauvaise passe. Autour de lui, les soldats riaient aux éclats et applaudissaient chaque nouveau coup du pourfendeur. L'envers du prisonnier était recouvert de son sang qui continuait de couler, inondant le sol boueux où les mouches assoiffées vinrent rapidement investir les lieux. Un dernier coup le fit plier pour de bon, s’évanouissant sous la douleur et la faiblesse, laissant les jambes branlantes au cœur de sa propre marre de sang.
- Vous voyez, chers soldats, aucun homme ne résiste à notre seigneur. Demain, je vous montrerais un autre de mes pêchés. Ramenez-le à sa cellule ! Ordonna Ixion.
Le Flocon fut détaché des piquets. On lui déversa une bassine de liquide verdâtre sur le corps et fut ramené au cachot. Eionée se pencha aussitôt au-dessus de lui et s'en occupa jusqu'au réveil.
Allongé au sol, sur le buste, il se réveilla doucement, sentant son corps affaibli et une souffrance profonde le tourmenté.
- Que m'est-il arrivé ? Demanda-t-il faiblement.
- Ne parlez pas. Vous êtes mal en point.
- Comment suis-je arrivé ici ?
- Je n’ai pas osé regarder mais les coups de fouet ont dû être profonds. Votre dos est dans un piteux état.
- Je ne ressens qu'une douleur globale. Je dois trouver un moyen de combattre.
- Cessez de bouger ! Ils vous ont induits d'une étrange substance verte. Cela doit vous aider à cicatriser il me semble. Vous ne devez pas mourir avant le quatrième jour, rappelez-vous.
- Ver-dâtre ? qu’est-ce que...
- Peu importe ! Si vous voulez reprendre des forces, ne bougez pas.
- Combien de temps ai-je été assoupi ?
- Toute la journée. Déjà le soleil se couche. Je crains fort qu'avec de telles blessures vous mourriez d'une fièvre dans la nuit si vous ne restez pas calme !
Il tenta de se relever mais tomba aussitôt. Il s'évanouit à nouveau. Il passa une nuit tant agitée qu’à peine l’aurore illuminait le ciel qu’il s’exclama en sursaut :
- Qui êtes-vous !
- Ce n'est que moi, Eionée. Je crains le pire pour votre vie. L'aurore s'apprête à vous donner en pâture à Ixion. Ne résistez pas ! La mort sera plus douce ! Répondit le vieil homme découragé.
Debout, son dos ne lui faisait plus mal mais sa force s'en était allée. Il s'appuya contre le mur pour se tenir debout, posa doucement son index droit sur ses cotes gauches et sentit la substance gluante le recouvrir. L’homme s’avança vers la porte d'où il entendit du bruit venir. « Ils arrivent. » Pensa-t-il.
La clef entra dans la serrure, tourna un tour, et la porte s'ouvrit violemment.
- Voilà le héros du jour ! S'exclama Ixion en faisant signe à ses gardes d'emporter la victime.
- Laissez-vous aller, étranger ! S'écria Eionée désabusé.
- Pousse-toi de notre chemin, esclave ! Dit Ixion en repoussant violemment le faible homme contre le mur de la cellule.
Le détenu trainait des pieds, regardait dans toutes les directions, observant le chemin emprunté jusqu'à la place où il retrouva la foule de la veille. Cette fois-ci, le seigneur s'était mêlé aux spectateurs, surplombant la scène, accoudé à une barricade de l’autre côté de l’arrière-cour. Il se délectait de ce qu'il voyait déjà, car l'homme semblait à moitié mort bien qu'à peine sortit du cachot.
Sur la place, une grande table de chêne sur laquelle on apercevait des cordes et des instruments comme des pieux de constructions, des fers à cheval, des chaines et des marteaux de forges, des faux et des serpes étaient déposés. Le cobaye fut installé, allongé, les bras le long du corps, les mains et les pieds attachés au bois, le buste tourné vers le ciel, la tête tombant en arrière dans un trou qui servait jadis à récupérer les têtes des animaux lors de leur découpage.
Ixion regarda en direction de Dominus en attendant son aval pour commencer.
- Votre majesté, braves soldats, je vous présente aujourd'hui le plus bel ouvrage, la torture par arme contondante ! S'exclama-t-il en s'avançant devant la victime, munit d'une serpe qu’il affutait sous ses yeux avant de la déplacer sur l’humain.
Ce dernier sentit la lame froide parcourir son corps en longueur. Ixion s'approcha de son ventre où les blessures du passé avaient laissé des traces. La pointe de la serpe s'enfonça doucement au creux de l’abdomen. La douleur fut intense et il hurla, se crispant de toutes ses forces. Il sentit la rage l'envahir, puis la terreur, puis observa distinctement le visage de son agresseur qui continuait d'enfoncer la lame arrondie à l'intérieur de lui. Il hurla encore, sans relâche, et ferma les points jusqu'au sang. Alors que l’outil fut violemment sorti de lui, entre le conscient et l’inconscient, il se souvint de quelque chose. Un mot lui apparut au pied d’un géant de pierre dont il semblait certain de connaître. Pendant un court instant il rêva puis lâcha magie à haute voix, reprenant ses esprits.
Quand il ouvrit les yeux, son visage crachait du sang, il apercevait son bourreau qui s'écriait devant la foule, mais il ne l'entendit plus. Il se sentait partis, mais la douleur revint le tourmenter lorsqu'une dague s'enfonça dans son mollet.
- Cessez ! S'écria-t-il. Cessez ! Cessez ! Cessez ! Cessez !
Et plus il s'écriait, plus Ixion, souriant, prenait plaisir à enfoncer la lame. La douleur atteignit le système nerveux, il suffoqua, choqué, le sang coulait de ses plaies, coulait le long des irrégularités de la table, gouttant jusqu'à la flaque en contrebas qui avait à peine séchée la veille.
Dominus fit signe à son vassal d'arrêter la torture. Il n'y avait rien de bon à déchiqueter un homme vivant s'il ne montrait pas qu'il souffrait. Aussitôt ramené dans sa cellule, il fut enduit du plâtre inconnu qui cautérisa doucement ses plaies profondes.
A son réveil, Eionée se tenait toujours à ses côtés, comme la veille. Il lui expliqua de sa faible voix que demain serait sa dernière journée. Qu'au vue de son état, le seigneur avait décidé de le pendre un jour plus tôt, avait-il entendu par les gardes. Affaiblie il murmura à son compagnon de cellule s'il connaissait quelque chose à propos du mot magie.
- Magie ? J'ai déjà entendu parler de cela, jadis.
- Racontez-moi...
- Je ne me souviens que de quelques bribes. Je crois que cela remonte à avant... Ma vie d'avant, je ne sais plus trop.
- Essayez...
- Je n’ai que de vagues souvenirs. C'était un voyageur, il disait venir de loin. De très loin. Il parlait de parjure je crois, et d’un endroit pour se cacher, une cité sous les sables.
- Continuez...
- Si vous vous obstinez, vous mourrez d’épuisement dans la nuit.
- Continuez, s'il vous plaît. Demanda l’homme à peine éveillé.
- Il me semble que cette cité avait quelque chose avoir avec la magie, une force naturelle, je ne sais plus.
- Une cité de magie...
- Vous divaguez. Je dois me tromper. Le temps efface tout.
- Eionée…
- Il parlait d'un monde aux apparences trompeuses, me semble-t-il. Quelque chose comme : un homme n'est pas un homme ou bien un homme n'est plus un homme. Je crois que cet homme avait fini par trouver ce qu'il cherchait en fin de compte.
Eionée observa le temps passer à la nuit claire. Les étoiles bougèrent de place toutes les heures, bientôt la lumière du jour marquerait la dernière journée de son seul compagnon de cellule. Les pas des monstres commencèrent à affluer de part et d’autre. La potence n'attendait plus que l’homme.
Peu avant qu'on ne vienne le chercher, ce dernier se réveilla et se tint debout difficilement, affaibli mais incapable de s’admettre brisé. Ixion lui fit face lorsqu'il ouvrit la porte.
- Je marcherais seul, cette fois-ci. Affirma le condamné devant son tortionnaire.
- Vous avez du courage, je vous l'accorde, et de la volonté. Je n'aurais jamais pris autant plaisir à vous voir souffrir, humain. Vous auriez fait un très bon sujet d'expérience. Je m'entraînerais peut-être sur la jeune fille après votre décès.
Il avança seul en dehors de la cellule, sans se retourner. Il marcha derrière les gardes, tandis que son agresseur fut le dernier. Il songea à ce qui l'attendait, mais la nuit avait été de bons conseils. La cicatrisation de son mollet, de son abdomen et de son dos atténuait sa douleur.
- Je vous certifie, Ixion, s'exprima l’autre avant de franchir la porte des cachots, j'aurais votre peau !
- Notre seigneur, le démon Dominus est plus puissant que tout être vivant de ce royaume. Alors attendez-moi autant que vous voudrez. Nous vous enverrons les dépouilles de toutes les personnes que je croiserais. Répondit-il avec ce même sourire sadique que lorsqu'il le tailladait.
Ils arrivèrent sur la place où se tenait la potence. Elle avait été montée par les esclaves qui, par soucis de maintenance, devaient se trouver sous les poutres principales afin que rien n’entrave le déroulement de cette condamnation. En haut, près du levier, la jeune fille qu'il était venu sauver le regardait triste et terrifiée. La foule de soldats en cercle n'attendait plus que le bruit du craquement de sa nuque lors de sa chute par la trappe. Leur excitation était palpable dans cette morbide atmosphère. Narak, souriant et soulagé, était lui aussi présent, positionné face à la potence, dernier visage que l’humain verrait. Il avait planté devant lui son épée et le fourreau dans la terre. Dominus, sur le rempart du fort, surplombait toujours la place et pouvait regarder mourir l'étranger comme il l'entendait.
Ses pas étaient lourds de douleurs et de culpabilité. Regardant le visage de toutes ces victimes, de tous ces hommes et ces femmes qui perdraient bientôt leur vie pour accomplir les desseins de ces êtres répugnants, il avait honte de lui-même, honte de n’avoir pas été présent, honte de ne plus savoir qui il était. Quand il arriva enfin sur la plateforme, face à la foule excitée, il ferma les yeux quelques instants. Il se souvint de toutes ces années passées, à parcourir le monde à la recherche de sa mémoire, tenant fermement son épée qui l’accompagnait malgré leur amnésie commune. Recouvrant son regard, il l’entendit l’appeler :
En chemin vers le Nord, traversant à nouveau la forêt, la jeune fille dont la robe était délabrée et le brun de sa chevelure poussiéreuse questionnait l’homme sur toutes les choses que la vie lui avait été enlevées. Ses parents étaient morts devant elle, prisonnière d’un seigneur sadique, elle savait que rien ne la retiendrait ici, tandis que son instinct la poussait à suivre Flocon. Ce dernier l’accepta sans s’inquiéter. Il était certes déterminé à reprendre la voie du combat, mais il n’avait plus été en contact avec son humanité depuis longtemps. C’était là le meilleur moyen de rattraper le temps perdu durant son long sommeil.
Ils marchèrent jusqu’à une auberge abandonnée. Les aubergistes avaient été massacrés, plantés sur des piquets à l’entrée comme cela se faisait dans la cour du démon.
« Je me demande jusqu’où le maléfice et les meurtres se sont propagés ces dernières années. Si les démons dominent les royaumes des hommes, sans doute que nous ne trouverons plus aucune terre libre sur notre route. Cette jeune fille n’est pas préparée pour de telles souffrances. Les royaumes que nous avions traversés ont peut-être résistés. » Pensait le Flocon en inspectant l’auberge de l’extérieur.
Malgré le paysage, la bâtisse avait son charme. Les poutres qui traversaient le logis restaient apparentes et la façade d’une teinte verte la camouflait au milieu des bois.
- Vous savez, dit-elle de sa jeune voix, je commence à avoir faim. Il y a peut-être quelque chose à manger à l’intérieur.
Flocon la regarda amusé. Il savait qu’ils ne trouveraient rien de comestible dans cette maison abandonnée, mais la maturité de l’enfant le réconforta de voir qu’elle avait l’esprit combatif malgré tout ce qu’elle avait vécu.
Ils entrèrent, la porte poussiéreuse coulissa en grinçant. Les quelques animaux réfugiés là par les trous s’échappèrent immédiatement. Devant le regard ébahit des deux arrivants, une rangée de cristaux luisaient d’une faible lumière. Il y en avait de toutes les couleurs. Les plus gros faisaient la taille d’une main et semblaient s’être érigés aléatoirement sur les pans de murs et les meubles. Il y en avait sur la table, la commode rongée par les termites, les murs, de toute part à l’exception faite du sol en pierre.
La fillette fut défendue par l’adulte d’en toucher ne serait-ce qu’un seul.
- Mais c’est si joli ! Rétorqua la jeune fille.
- Ces cristaux… Si tu te transformes en cochon, je ne me priverais pas pour te dévorer ! Lui répondit-il pour lui faire peur.
Après quoi elle recula et resta proche de l’homme qui songeait à l’origine de ces pierres. L’expérience qu’il en avait eu jadis ne justifiait que de la prudence.
- Le monde doit s’adapter naturellement aux nouvelles forces qui le gouvernent. Si toutes les âmes ont été asservies, je me demande si quelques-uns des territoires que j’ai traversés jadis ont pu résister aux forces magiques. Nous ferions mieux de ne pas rester en leur présence. Je chasserais pour nous nourrir ce soir. Décida-t-il en attrapant la main de la jeune fille et en sortant de l’auberge.
Un peu plus loin dans la forêt, les deux s’installèrent derrière un bouquet d’arbres, proche d’un terrier de lapin. Y tendant un piège en enfonçant des branches aiguisées tout autour du trou, il installa une cage en bois rudimentaire devant l’allée qu’il avait creusé rapidement. Ils attendirent silencieusement que les bêtes s’y coincèrent. La nuit eut le temps de tombée avant que deux d’entre elles soient prises au piège. Le premier lapin servis de repas tandis que le deuxième, gardé pour un prochain, fut laissé entre les mains de la jeune fille qui appréciait le pelage doux de l’animal.
- Où avez-vous appris à chasser, sire ? Demanda la jeune fille. Mon père aussi savait chasser ! C’est lui qui… ramenait la nourriture au village. Répondit-elle tandis que les larmes commençaient à lui couler le long de ses joues rosées.
- C’était il y a bien longtemps. Tu n’étais pas encore née en ce temps-là. Comment t’appelles-tu ? Ajouta-t-il d’un ton rassurant.
- Aude, sire.
- Ne m’appelle plus sire, Aude. Je préfère Flocon. Veux-tu savoir comment j’ai appris à chasser ?
- Oh oui, sire ! Flocon ! S’enthousiasma-t-elle.
Il s’approcha du feu dont les crépitements donnèrent le ton. La braise flamboyante lui rappela l’ambiance.
- C’était sur le Mont Dabrailla, en plein cœur de la chaîne de montagnes du Nord, nommée ainsi pour la croyance en Dabrail que les hommes lui vouaient, un être de pierre à l’origine de tous les monts de la terre. Pour la plupart c’était un mythe, une histoire que les gens contaient pour garder les croyances intactes. Mais le roi du royaume me conta qu’il était plus grand que tous les êtres et plus sage que tous les hommes. Je me demandais si je le rencontrerais un jour. Le roi organisait tous les ans une chasse immersive. Tous les jeunes de ses terres devaient prendre part à cette quête, et comme j’étais de passage, je lui demandai l’autorisation de participer. Le but était de lâcher les plus jeunes au centre de la forêt, au cœur de cette chaîne de montagnes et de leur apprendre à survivre et à chasser par leurs propres moyens. Tous ceux qui rapporteraient au moins cent livres de viandes se voyaient récompensés par le roi de quelques onces d’or et de victuailles pour leur famille. Tous les jeunes se réunirent donc au pied du Mont, guidé par un éclaireur, dont je fis partis. Le roi se déplaçait à cette occasion pour souhaiter bonne chasse à chacun d’entre eux. Quand les trompettes sonnèrent, ils entamaient la quête. La forêt était si dense que nous ne pouvions simplement pas faire demi-tour pour rebrousser chemin. Les plus dynamiques d’entre eux partirent en courant dans toutes les directions, se hâtant d’être les premiers récompensés. Quant à moi, je me demandais bien ce que j’allais découvrir au beau milieu de ces bois. Je ne connaissais rien à la chasse, et je n’étais pas vraiment concerné par cette coutume. Aujourd’hui, je suis convaincu que c’était avant tout un rite d’initiation à la survie et à la découverte de notre personnalité. Racontait Flocon.
- Ils devaient être nombreux ! Moi j’avais… un tas d’amis au village. Remarqua Aude.
- Quoiqu’il en soit, j’étais au pied du Mont Dabrailla et déjà les jeunes courraient vers l’intérieur de la dense et sombre forêt où je devais traquer et tuer les animaux, trouver un abri, m’apprêter à survivre en somme. Tandis que j’avançais à l’intérieur de cette atmosphère pesante, les premiers jours furent difficiles. Je ne savais pas quoi faire. Je trouvais quelques ronces où les mûrs me gardaient à l’abri de la faim, mais rapidement, je sentais qu’il fallait que je mange. Que je chasse. Je ne savais pas comment, mais je devais trouver autre chose. La forêt était si vaste qu’il était rare de tomber sur un autre individu ou groupe d’individus. D’ailleurs, je n’avais aucun moyen de me repérer. Il me fallait monter sur le Mont, sans quoi j’étais perdu. Je trouvais quelques terriers de lapins, et même si je vis les animaux en sortir, ils courraient bien trop vite et étaient bien trop agiles pour que je puisse les attraper à main nue. Je n’étais pas peureux de nature mais cette fois-là je sentais la peur qui rôdait près de moi. Je me souviens qu’après un certain temps, ce qui me semblait une éternité, je suis tombé sur un cadavre d’une jeune fille. Elle avait été en partie dévorée. C’était forcément un animal qui l’avait attaqué, et à ce moment-là mon sang se glaça. Je ne savais chasser et je découvrais que je n’étais plus le seul prédateur de cette forêt.
- Il y avait des filles également ? Les filles chassaient ? Demanda Aude qui tenait fermement le lapin entre ses mains.
- Oui, tous les enfants de ce royaume devaient apprendre. Chaque année, ce rite était répété. Je n’avais jamais prêté attention à leurs histoires passées. Je ne pensais pas que cela serait si difficile. Je n’avais pas idée que je serais confronté à l’adversité, que j’y serais contraint d’y faire front. Mais à cet instant, devant le cadavre de cette fille, je compris qu’il ne s’agissait pas seulement de chasser, de survivre, mais aussi de maîtriser son environnement. Je n’arrivais pas à comprendre comment on pouvait laisser des enfants entrer dans cette forêt sans la moindre défense. Pour ma part, j’avais mon épée pour me défendre. Il fallait que je me remette en question et que je prenne sur moi le fait qu’à ce moment même j’étais seul et loin de tout. J’étais perdu au beau milieu de nulle part. Seule la pointe du Mont Dabrailla me donnait l’espoir de pouvoir rebrousser chemin. Si j’arrivais à atteindre le haut de cette montagne, je pourrais voir où se situe le royaume et quelle direction prendre pour le rejoindre. C’était devenu mon seul objectif. De nuit, je tentais de trouver des branchages où grimper pour m’y reposer, et le jour, je marchais sans pause vers le mont que j’observais à travers les cimes. Hélas, plus je marchais, plus il me semblait que je ne l’atteindrai jamais. Il y avait comme un maléfice qui m’y empêchait. Plus j’avançais et plus la montagne semblait reculer. Au bout d’un certain temps, je ramassais des branches brisées et pointues pour me fabriquer des pièges. Puis, plus le temps passa, plus je me fis des réserves de fruits. Un beau jour, tandis qu’une tempête de neige fit rage et que je n’avais pas encore tué d’animaux, je me demandais combien de temps j’étais resté dans cette forêt. Jusque-là, obnubilé par mon objectif, je n’avais pas prêté attention au temps qui passait, au déclin de la température. Je me souviens de ce jour-là, où la neige rafraîchi mon esprit et où je craignais que le temps fût passé bien plus vite que je pouvais le concevoir. Si le froid s’installait, alors les baies disparaîtraient et je devrais absolument trouver le moyen de chasser. J’avais déjà les pieux dans le sol, mais si je ne trouvais pas la nourriture rapidement, je ne pourrais ni trouver la force ni les peaux pour me garder des brises fraîches qui allaient se multiplier. C’est dans cette situation que je compris que la maîtrise de l’épée au combat ne me servirait pas à chasser. De deux choses l’une, soit je prenais place en ce lieu, construisant abris et m’efforçant de fabriquer des pièges afin de chasser pour survivre à l’hiver, soit je continuais d’avancer vers un mont que je n’arriverais certainement jamais à atteindre et je mourrais probablement de froid et de faim dans les jours à venir.
La jeune fille eu un frisson et regarda le lapin. Elle lui aurait bien donné jadis pour qu’il puisse se nourrir, mais cramponner à l’histoire, elle resta muette et attendit patiemment la suite.
- Je devais comprendre et apprendre rapidement à observer les habitudes des animaux et tendre des pièges à ceux dont les baies étaient leur pêché mignon. En effet, j’attrapai grâce à cela quelques écureuils. Les premiers coups d’épées pour les tuer me rongèrent l’esprit. J’avais l’impression d’être devenue une bête sauvage prête à tout pour survivre. Cette idée me répugnait mais la faim me gouvernait avec bien davantage d’intensité. Faire du feu était encore la seule chose que j’avais appris à faire avant cette aventure et cela me permis maintes fois d’échapper à la mort et aux prédateurs. Les gibiers furent de plus en plus grands et je recouvrais bientôt toute ma cabane des peaux de ces carcasses. La brise ne me fouettait plus et le froid cessa de me ronger les membres. Je survivais enfin comme j’aurais dû le faire dès les premiers jours. La saison passa et malgré mon jeune âge je me sentais aguerri et prêt à reprendre ma route vers le mont. A présent, je savais chasser. Si je savais comment revenir, je n’aurais plus qu’à chasser sur le retour et ramener les butins au royaume. Je me demandais parfois si j’avais été le seul à devoir survivre au beau milieu de cette forêt en plein froid ou si les autres avaient déjà tous remplis leur mission. En avançant, je repensais à cette fille dont j’avais découvert le cadavre et je m’étonnais qu’aucune bête ne m’attaque depuis l’hiver. Peut-être étais-je trop éloignés de leur repère pour que je sois une cible, pensais-je, mais puisque je me sentais plus confiant, je cessais de vouloir avancer vers l’infini et tenta de contourner le mont. Parallèlement à celui-ci, j’arpentais dès lors la forêt avec l’envie de rencontrer d’autres gens ou de découvrir d’anciens campements que d’autres auraient pu avoir fait par le passé. Ce que je découvris fut tout autre. Un jour ensoleillé, j’étais tombé sur une prairie en plein cœur de la forêt. Je me demandais comment une prairie si vaste pouvait se trouver au beau milieu d’une forêt si dense. J’y jetais un œil sans trop oser sortir de l’orée du bois où j’avais pris mes repères. Ce qui m’étonna le plus lorsque je contournai brièvement cette plaine, c’était l’absence totale de volatiles au-dessus de ce terrain. On aurait pu penser qu’il n’y aurait pas meilleur endroit pour se nourrir de vers et autres insectes. J’entendais pourtant bien les chants des oiseaux résonnés dans la forêt, mais nul être vivant ne se promenait au beau milieu de ce terrain. Je n’étais plus à ma première observation illogique. Déjà le mont semblait ne plus exister puisque nulle avancée ne me rapprochait de lui. Et maintenant cette plaine verdoyante immaculée. Au final, ma curiosité prit le dessus et je m’élançais sur l’herbe fraîche. De ma lance, je tâtonnais le sol pour vérifier qu’il n’était pas marécageux et j’avançais vers ce qu’on pouvait penser être le centre. Il y avait là un grand rocher surplombant une toute petite marre. L’eau était claire si bien que l’on pouvait sans problème distinguer le fond du trou. C’était sans doute la meilleure eau que j’eusse bu depuis mon aventure. Elle était douce et fraîche, et l’on sentait que sa pureté n’avait jamais été égalée. Je me demandais bien comment une pareille marre pouvait encore être aussi saine alors que non loin de là, une forêt grouillait d’animaux. Je me débarbouillais et contemplais l’endroit. Pour la première fois, j’eu l’impression que le Mont fut plus proche de moi qu’auparavant. Il y avait quelque chose de mystérieux dans cette prairie. Et je ne tarderais pas à découvrir pourquoi. En effet, à peine eu-je fini de me préparer à continuer ma route que le sol trembla. Une envolée d’oiseaux quittant les arbres aux alentours créa un nuage d’ailes et de plûmes qui s’élevait au-dessus des cimes et s’éloigna. Une deuxième secousse se fit sentir et cette fois-ci, la marre se vida intégralement de son eau. Elle fut comme aspiré vers l’intérieur du sol en un instant. Je fus renversé au troisième tremblement. Le sol se mettait à se fissurer. C’était terrifiant. J’étais terrifié. Je me disais que c’était la fin. J’allais mourir par une catastrophe naturelle. Ou surnaturelle. Je ne savais pas expliquer ce que je voyais. Le sol se renversa devant moi. La roche qui surplombait la marre n’était autre que ce qui s’apparentait à un nez au milieu d’un visage, et le creux de la marre était la bouche de cet être de pierre qui se dressait devant moi. Sa taille imposante mesurait sans doute cent pieds et sa carrure massive me stupéfia. Comment un être pouvait-il être si grand, si lourd, et se tenir debout comme n’importe quel humain ? De ma petite taille, il semblait être aussi grand que le Mont.
- Un géant ! Cela n’existe pas. S’exclama la jeune fille dont le souffle s’était coupé quand il avait parlé des tremblements.
- Ce n’était pas n’importe quel géant. C’était Dabrail, le gardien du Mont. Il n’était pas aussi stupéfiant que le conte le disait, mais il était suffisamment étonnant pour qu’on lui ait attribué quelques histoires incroyables. Et il était là, debout, devant moi. L’herbe verte recouvrait ses membres de pierres qui se mouvaient doucement au-dessus de ce qui restait de sol. Sa silhouette était bien celle d’un bipède bien que tout en lui n’était fait que de pierre, seul le centre du buste était fait d’un cristal quadratique brillant. Je ne savais comment expliquer qu’une telle chose puisse exister. Rien ne pouvait expliquer que de la pierre puisse être habitée par la vie. Je me souvins être resté immobile. J’étais terrifié à l’idée que cette chose me voit à ces pieds. Il aurait pu m’écraser d’un geste. Hélas, même si je faisais mine de n’être qu’une brindille dans le décor, il m’aperçut, il me sentit, il me dévisagea, et contre toute attente, il s’adressa à moi :
- Qui êtes-vous, petit humain ? demanda-t-il d’une voix grave que sa gorge rocheuse créait avec un souffle d’air qui résonnait en son être.
Mais je ne sus plus quoi dire. J’avais perdu toutes mes capacités, figé par la peur et l’étonnement. Il savait ce qu’était un homme. Je réfléchissais à toutes les choses possibles ou non, qui pouvaient avoir un lien avec lui, mais j’étais incapable de recouvrer mon sang-froid.
- Seriez-vous muet ?
Il se pencha vers moi et tandis que je restais figé, il m’observa.
- Vous ne semblez pas très vivant.
Après réflexion, comme il se redressait pour regarder autour de lui, je compris instinctivement qu’il n’était pas méchant.
- Combien de temps ai-je dormis ? Je ne me souviens pas qu’il y ait tant de forêt la dernière fois que j’ai arpenté cette contrée.
- Bonjour ! M’exclamais-je bouleversé.
Il se tourna à nouveau vers moi, s’accroupi et tendit l’oreille.
- Bonjour ! Seigneur Dabrail ! Répondais-je encore.
- Seigneur Dabrail ? Comment connaissez-vous mon nom ?
- Je… Vous êtes le gardien des Monts !
- Gardien des Monts ? Ha !
Il se mit à rire ci-bien que le sol en trembla. Je n’arrivais pas à retrouver mon calme craignant toujours qu’il m’écrasa subitement.
- Comment connaissez-vous mon nom ? Demanda-t-il à nouveau.
- Des histoires ! Des histoires qui content votre existence !
- Des contes. Cela doit faire bien trop longtemps que je suis endormi ici.
- Je me demande si je devrais continuer cette histoire, Aude. La suite n’a plus de rapport avec la chasse. S’interrompit Flocon.
- Oh oui ! S’il vous plaît ! C’est passionnant ! Je n’ai jamais entendu de tels récits !
- D’accord, d’accord ! Ça ne peut pas me faire de mal de repenser à ces vieilles aventures.
Aude s’allongea contre une buche et regardait attentivement l’homme raconter son passé en imageant de gestes amples.
- Le géant de pierre s’interrogea sur le temps qui s’était écoulé pendant son repos. Il n’en avait visiblement aucune idée, et moi, je n’avais aucune idée de comment il avait pu rester ici si longtemps sans que personne ne le sache. Je découvrirais bien assez tôt toute l’histoire, pensais-je. Je me rendais compte que cette rencontre était sans doute ma seule solution pour avoir des réponses à mes questions. Notamment celle qui concernait de rejoindre le Mont. Tandis qu’il regardait autour de lui, il me demanda si je connaissais le Chemin du Sage ?
- Avec toute cette végétation, je me demande bien où il a pu passer.
- Je ne connais pas de tel chemin. Répondis-je en y songeant.
- Il ne doit pas être loin. Il permet de rejoindre le Mont. Je crois que c’est le seul chemin d’ailleurs. Je ne sais plus trop. Si j’arrive à atteindre la montagne, me disait-il, je pourrais retrouver ma demeure, savoir comment je me suis endormi ici.
- J’essayais de comprendre ce qu’il me racontait mais j’ignorais tout à propos d’un sentier qui parcourait cette forêt. Après un moment à faire le tour de la prairie, il se tourna vers moi et s’approcha avec un pas décidé qui faisait à nouveau trembler le sol. Je sentais que quelque chose avait changé dans son comportement.
- M’avez-vous piégé ? Reprit-il alors que je restais figer.
- Seigneur…
- Si vous m’avez piégé, je m’occuperais de vous. Je n’aime pas que l’on se fiche de moi.
- Seigneur ? M’interloquais-je ne comprenant pas ce qu’il se passait.
- Comment se fait-il que je me sois réveillé et que la terre ait autant changé. Mon ami, où est donc passé mon ami ?
- Quel ami, seigneur Dabrail ?
- Il s’impatientait et de colère il frappa soudainement le sol. Celui-ci se fracassa sous la masse. Il était furieux. Ma vie semblait n’être plus rien devant sa force. Je ne savais pas quoi faire. Si je fuyais, il m’aurait rattrapé en une enjambée et m’aurait sans doute écrasé. Si je tentais de m’approcher, je risquais de finir comme le terrain, en morceau. Et rester immobile me rendait soupçonnable d’artifices dont j’ignorais tout sens. Je me souviens m’être décidé à agir. Je n’avais plus guère le choix que d’affronter l’instant.
- Seigneur ! m’exclamais-je pour l’interpeller, j’ai besoin de votre aide ! Je souhaiterais rejoindre la montagne pour savoir où se trouve le royaume. Il n’y a que sur le Mont que je saurais comment rentrer là-bas !
- Un royaume ? D’où venez-vous ? Demanda-t-il tandis que sa voix assourdissait tous les bruits alentours.
- Je me sentis en danger et par réflex je prenais entre mes deux mains mon épée que je pointais en sa direction. Sa manière qu’il avait de me dévisager, je comprenais que je devenais peu à peu un obstacle. Je reculais doucement, prêt à courir vers les bois où peut-être pouvais-je me cacher. Il se pencha vers moi et s’apprêta à dire quelques mots quand quelque chose l’interpella.
Une nuée d’oiseaux arrivèrent dans la prairie. Ils venaient de toutes parts. Tous ceux qui s’étaient enfuis tout à l’heure revinrent soudainement. Même les animaux terrestres firent leur apparition. Il semblait que tous les êtres vivants fuyaient quelque chose de la forêt et se réfugiaient dans la prairie. Je n’y comprenais plus rien. Mais le géant regardait cela avec étonnement puis inquiétude.
- Comment m’avez-vous réveillé, petit humain ? Me demanda-t-il soudainement tandis que sa voix était redevint paisible.
- Je n’ai rien fait. J’ignorais votre existence, Seigneur. répondis-je honnêtement.
- Il semblait alors bouleversé. Il savait pourquoi les animaux étaient venus à lui. C’était évident. Il savait quelque chose et cela avait sans doute un lien avec son éveil.
- Il y a une force maléfique dans cette forêt. Le Sage avait promis de l’endiguer. Où est-il passé ? S’interrogeait-il de vive voix.
- Que se passe-t-il, Seigneur ? Demandais-je dans la hâte.
- Votre présence ici ne peut être une coïncidence. Je ne vois qu’une explication à mon réveil. Et mon ami, cette fois-là, il m’avait averti que ça arriverait.
- Il s’interrompit et frappa de toutes ses forces à plusieurs reprises sur le sol. Il semblait devenir fou. Tout s’effondra autour de nous. Le sol se brisait et tombait. Mais rapidement, j’observais que les sous-sols de la plaine étaient en fait un vaste réseau de tunnels qui créaient des tranchées dans lesquelles les animaux se réfugièrent. J’avais l’impression d’assister à une scène où tous les acteurs connaissaient déjà le sens. Cela avait déjà dû se produire par le passé. Plus d’une fois. Le sol ne ressemblait déjà plus à cette prairie verdoyante. Ce n’était qu’un grand trou où les animaux s’étaient réfugiés et cohabitaient pour ne pas souffrir du mal de la forêt.
- A présent, nous devons nous occuper de ce qui approche.
- Je ne comprenais pas un mot de ce qu’il disait, mais je sentais que je pouvais dorénavant avoir confiance en lui. Je le laissais continuer à m’expliquer, tandis que je le suivais jusqu’à l’entrée du bois.
- J’ai pris du temps à m’en rappeler… Mon réveil, petit homme, est dû à votre présence ici. Je sens en vous une force oubliée.
- Il me proposa un accord. Je l’aidais à supprimer le mal qui venait ronger la forêt, en échange de quoi il me promit de réveiller la force qu’il avait vu en moi.
- Combien de temps êtes-vous resté dans cette forêt ? Interrogea la jeune fille après le récit.
- Je suis resté environ dix années et le géant m’appris tout ce qu’il savait. À mon départ, Dabrail fit un duel avec moi. Si je vainquais sa force brute par la mienne, il me laisserait partir.
- Vous avez gagné contre un géant ? S’émerveilla Aude.
- Ne suis-je pas ici devant toi ? Plaisanta-t-il.
Au petit matin, Flocon eu une étrange sensation, le sentiment que quelque chose avait changé durant la nuit. La jeune fille dormait encore à côté des braises chaudes tandis que la brume matinale s'élevait doucement. L'odeur de la végétation n'avait plus ce doux parfums de rosé mais quelques odeurs plus amer, presque répugnante. Il se leva et regarda autour de lui. Rien de visible à première vue, mais la sensation était réelle et ses sens ne le trompaient pas.
Il observa la jeune fille avec douceur avant de décider de la réveiller pour partir.
- Nous devrions retourner à l'auberge abandonnée. Lui dit-il en la réveillant d'un geste lent sur l'épaule.
Elle s'éveilla doucement mais vit rapidement l'inquiétude de l'homme qui s'apprêtait déjà à s'éloigner.
- Que se passe-t-il ? Demanda-t-elle en se dressant sur ses jambes engourdies.
- Viens, allons-y.
- Pourquoi faire ? Il n'y a rien là-bas. Et mon lapin s'est enfui !
- Je dois vérifier quelque chose. Ne t'en fais pas pour ton animal, nous chasserons à nouveau.
Ils revinrent à la bâtisse. Elle n'avait plus la même apparence que la première fois. La végétation n'avait plus d'emprises sur les murs. Seule de la glycine recouvrait la façade et les fleurs bleus donnaient une touche de gaieté qu'on n'aurait pu imaginer la veille.
- Nous ne devrions pas entrer. Pensa la jeune fille inquiète devant la porte dorénavant en bon état.
- Reste à mes côtés, tu ne crains rien. Lui répondit Flocon d'un ton assuré en entrant.
L'intérieur était devenu coquet, les murs boisés témoignaient d'une propreté qu'une seule nuit n'aurait pu permettre, mais le parfum d'un logis habité et les cuissons de viandes et d'herbes avaient laissé dans l'air quelques odeurs agréables.
L’homme sentit la main de la jeune fille se desserrer de sa cape. Malgré l'étrange et agréable surprise, ils savaient que ce lieu n'était pas un miracle. En ces terres désolées, la terre sentait la mort et l'auberge décorée n’était guère le reflet de la veille.
Cachant son épée sous sa longue cape, il s'avança au milieu de la pièce vers une table-haute façonnée dans du chêne. Aude quant à elle resta silencieuse et attendit patiemment à ses côtés tandis que l'air sec de la salle lui asséchait la gorge.
Un homme arriva du fond de la pièce.
- Veuillez m'excusez ! Je ne vous avais pas entendu entrer. Que puis-je pour vous ? demanda ce dernier en reluquant les deux individus.
- Nous cherchons notre chemin. Pourriez-vous nous indiquer où nous sommes ? Répondit son interlocuteur avec méfiance.
- Vous êtes à l'Auberge des Dix Lieux. Et je suis le maître de ce lieu, appelez-moi Maistro. D'où venez-vous ?
L’homme portait une longue tunique qui le recouvrait des épaules jusqu’au pied et dont la chevelure frisée tombait jusqu’aux épaules. Ses yeux d’ambre et sa moustache entretenue lui donnèrent l’apparence d’un barde.
- A dire vrai... Nous nous sommes égarés dans cette grande forêt.
- Egarez dans cette forêt ! Ah ! Que je vous comprends, nos clients sont des gens égarés justement. Je peux vous offrir quelques rafraîchissements pour vous désaltérer ? J'ai de la bière d'Idish, vous aimerez, j'en suis sûr !
- D'Idish ? Je ne connais aucun lieu qui porte ce nom. Est-ce le bourg le plus proche ?
- Idish ! C'est...
Un deuxième individu pénétra dans l’enceinte et salua le groupe.
- Idish ! Je parlais justement de toi à ces voyageurs ! Des égarés de la forêt. s'exclama Maistro en l'apercevant.
Ce deuxième, à peine aussi grand que le premier, était vêtu du même type de vêtement mais son regard bleuté, sans pilosité faciale et sa chevelure blonde, aussi étincelante que l’or des broderies royales lui donnait un genre de coquetterie.
- Bonjour à vous voyageurs. Bonjour Maistro ! Il n'y a pas foule aujourd'hui. Hier était plus vivant ! Répondit Idish.
- Oh hier ! Je suis sorti me promener avant de fermer ! Et en revenant, ils s'étaient...
Il s’interrompit en croisant le regard du Flocon. A ces mots ce dernier sortit son épée et la pointa sur la gorge de l’hôte.