la mort
À l'aube d'une guerre :
- Pourquoi ?
- Maître, vous n'avez eu de cesse de priver les anges de leurs pouvoirs.
- Que t'ont-ils promis, Azazel ?
- Vous n'avez pas idée. Sans le Diable pour règner sur ses sujets, je dirigerais ce monde.
- Pauvre idiot. Tu as cru qu'en l'absence de ton Maître, en l'absence de mon pouvoir, tu pourrais tenir face aux Anges ?
- Mourrez en paix, Maître. Que les Enfers ne puissent jamais plus vous y voir.
- Tu as condamné ce monde. Les Enfers n'existeront bientôt plus. Les Anges anéantiront tout...
Pour la première fois, je me vis cracher du sang, du sang qui était le mien. Je vis les cornes d'Azazel se retirer de mon corps, tandis que mon âme, dans un dernier soupir, s'échappa de mon être et rejoignit les limbes. Tandis que je regardais Azazel savourer sa victoire sur son Maître, mon dernier clignement de paupière sembla interminable.
Je me suis réveillé en un monde méconnaissable. Avais-je été choisis pour la Réincarnation ? Était-ce là une mise en garde ? Une charité divine ? Une repentance ? De toutes les réincarnations allouées par le monde des damnés, nul n'aura jamais pu traverser la vie et la mort en gardant en sa mémoire l'histoire de sa vie passée. Et pourtant, me voici dans un monde que je ne reconnais pas, dans un corps qui n'est guère le mien, et de ce que je vois, de ce que j'entends, ce que je sais ne semble apporter aucune satisfaction à cette expérience nouvelle.
Combien de temps s'est-il écoulé ? Suis-je destiné à être le Diable de ce monde ? Ou bien l'Ange ? Ai-je une destinée ? Toutes ces questions sans réponses tandis que j'observe déjà qui je suis.
Des cornes sur ma tête, serait-ce les Enfers ? Une tenue de villageoise, une poi...trine. Suis-je devenu une femelle ! Qu'est-ce que cela ? Une flèche semble-t-il me traverse l'abdomen et ce bas recouvert de sang, il semble que je me sois réincarné et pris possession d'une femelle abattue.
La douleur m'était jusqu'alors inconnue, et pourtant, voilà ce que les Anges craignaient le plus au combat ? Cette sensation enivrante et exaltante ! Voilà donc ce qu'est une blessure douleureuse. Cette sensation est exquise ! Pourquoi vouloir s'en priver ? Pourquoi craignaient-ils tous ce qu'ils appelaient "Souffrance" ? Qu'aurais-je donc pu donner pour en ressentir une infîme partie, jadis ? Azazel, assurément. Je l'aurais bien volontiers offert à la lumière divine. Quoiqu'il en soit, ce corps féminin est dorénavant le mien.
« Elle est par ici ! Venez, je suis certain de l'avoir touché. »
Seraient-ce des humains ? Il n'y a pas âme humaine qui vivent aux Enfers ni au Paradis. Cela veut-il dire que...
« Bonté divine ! Regardez-la ! Ce monstre est encore en vie ! »
« Une flèche ne lui a pas suffit ! Abattez-la ! »
Quelle sensation ! La pénétration si sensible de ces bouts métalliques finement taillés, perforant ma chaire et s'enfonçant pas à pas dans mes organes. Que c'est bon ! Que c'est bon !
« Elle... Elle jubile ! La bête est devenue folle ! »
- Encore ! Encore ! J'en veux encore ! Bandez toutes vos flèches, visez toutes les parties de mon corps, faites-m'en ressentir encore plus !
« Nous devrions partir ! Retournons au village, alertons le Seigneur ! »
- Revenez ! Revenez ! Ne partez pas !
Si j'avais su quel plaisir cela serait d'être blessé dans le corps d'un mortel, je me serais donné la mort bien plus tôt. Quant à ces flèches, il semblerait que mon âme ait gardé quelques traces des Enfers. Ce corps se régénère malgré son enveloppe mortelle. Serais-je à nouveau immortel dans un monde remplis de sensations ?
Puisque je suis une femelle, et qu'aux dires de ces humains, une monstruosité, je me ferais appeler Lilith jusqu'à ce que j'en apprenne plus sur ce monde.
Ces traces de pas semblent prendre la direction de ces humains. S'ils ont tué cette femelle, c'est sans doute que le corps qui m'abrite est au mieux une cible convoitée pour la chasse, au pire un ennemi. Dans tous les cas, si je veux en apprendre plus sur cet endroit et cette vie, je dois m'y confronter. Ma régénération est un héritage de mon ancienne vie, je me demande si ma force et mes pouvoirs le seront aussi. Je n'arrive pas à émettre ne serait-ce qu'une source d'énergie pour le moment, et mon coup de poing n'égratigne même pas l'écorce d'un arbre. Peut-être est-ce dû à ma condition physique actuelle, ou simplement à l'éveil ? Qu'en sais-je ?
...Une heure plus tard...
Voici donc le village dont parlaient ces hommes. On dirait plutôt une forteresse au coeur d'un territoire boisé. Je n'ai croisé aucune charette de commerces ni n'ai-je vue des traces de roues sur le sol. Je me demande à quoi ressemble ce monde. Comment une forteresse de pierres et de bois peut-elle être si imposante sans qu'aucun habitant ne vive à l'extérieur ou ne s'enrichississent du commerce ?
Quel accueil vais-je ainsi recevoir quand ces deux guetteurs cesseront de discuter ensemble, et remarqueront ma présence ?
- Vous là-haut ! Pourriez-vous m'indiquer où je suis ?
- Regarde ces cornes, sur sa tête ! S'exclama l'un d'eux. Je crois que c'est le monstre dont on nous a signalé la présence !
- La bête sauvage des paysans ? Je n'y croyais pas mais maintenant qu'elle est là, sonnons l'alarme !
Le comité d'accueil arrivera donc comme ceci, cette fois encore. Y a-t-il un but à cette réincarnation ? Devrais-je être le sauveur d'une civilisation méprisée ? À quoi bon choisir un tel corps sans m'en expliquer la raison ?
- Voici donc la bête qui fait craindre à nos braves ouvriers de se remettre au travail ? S'avance un soldat à l'allure d'un chef de guerre.
- Oui, mon Seigneur, cette chose à attaquer les villageois et à dévorer leur coeur encore battant. Expliqua son conseiller à l'allure fétiche.
- Quelle répugnante histoire. Les abérations ne devraient pas exister en ce monde.
- Vous dites vrai, mon Seigneur. Archers ! En joug !
- Attendez un instant, est-ce que cette bête vient de m'adresser la parole ?
- Je l'ignore mon Seigneur.
« C'est bien cela ! Je viens de vous demander où nous sommes ! » S'exclama Lilith de plus bel.
- Je n'ai pas rêvé, cette fois ?
- Je... Non, mon Seigneur. Cette chose a bel et bien parlé. Nous devrions l'exterminer avant qu'elle ne s'en prenne à vous.
- Attendez, je suis curieux.
- Mais, mon Seigneur, ne devriez-vous...
- Taisez-vous, vous dis-je. Entouré de mes gardes, elle ne m'atteindra jamais. Je veux simplement discuter un peu.
- Bien, mon Seigneur.
« Pourquoi me chassez-vous ? »
- Vous, vous vous en êtes pris à mes braves et honnêtes citoyens. Votre châtiment est la mort. Mais puisque vous êtes douée de parole, que pouvez-vous m'apprendre ?
Un érudit parmi des guerriers, des ignorants et des béliqueux ? Voilà une rencontre fortuite. Je dois pouvoir en apprendre plus sur ce monde, et peut-être arriverais-je à corriger cette mésentante.
« Je m'appelle Lilith, Dieu des... », il se tut subitement et reprit : « je suis amnésique. Je me suis simplement réveillée contre un arbre plus tôt, touchée par les flèches de vos chasseurs. »
- Lilith ? Depuis quand les monstres de votre espèce portent-ils des noms ?
- De mon espèce, vous dites ? Veuillez éclairer mon ignorance, mon Seigneur, que suis-je donc ?
S'approchant de sa Seigneurie, le conseiller chuchota :
- Mon Seigneur, voyez-vous la fourberie de cette chose. Feindre son inexistance pour vous faire baisser votre garde.
- Archer, fit le chef en s'adressant à l'homme d'arme à sa gauche. Une flèche, au molet.
- À vos ordres ! S'exécuta le soldat.
- Votre châtiment restant la mort, je me permets de vous immobiliser tout d'abord.
- Mon Seigneur ! Que c'est bon... chuchota-t-il avant de reprendre avec engouement, veuillez me dire qui je suis, ce que je suis, et vous pourrez décocher toutes les flèches de vos carquois.
- Lilith, ne craignez-vous pas la mort ? Puisque c'est votre souhait, je répondrai à votre question et vous ferai regretter vos actes.
- Je vous en remercie, que suis-je donc ?
Le Seigneur, suivis par toute sa garde rapprochée, descendit de la muraille, fit ouvrir les portes du bastion et s'avança, épée en main, à quelques pas de la bête. Il contempla sa disgrâce un instant avant d'être intégralement protéger de ses hommes armés qui servirent de barrière entre les deux individus.
- De toutes les monstruosités qui vivent sur ces terres, vous autres, mi-homme mi-bête, aux cornes qui trahissent votre vraie nature, vous êtes des démons. Vous apportez malheur et tourments à chacune de vos apparitions. Mais, je dois dire que, la valeur de vos cornes ont de cesse de ravir l'Empereur, et les vôtres feront de moi un homme riche et puissant à votre mort.
- Vous vous méprenez. Je n'ai rien avoir avec ce dont vous parlez, je ne peux n'être d'une si basse condition.
- Que dites-vous ? Est-ce là votre seul stratagème pour me faire baisser ma garde ?
- Mon Seigneur, laissez-moi vous expliquer. Je suis la seule de mon espèce et... Je suis immortelle.
- Ha ! Haha ! Rit-il nerveusement. Immortelle ! Votre moquerie mérite de vous prouvez le contraire !
Et d'un geste de la main, la garde obéit à leur chef et décocha autant de flèches que d'hommes sur la place. Le volée assombrit plusieurs fois le ciel, perforant de part et d'autres le corps de Lilith, s'amusant, riant aux éclats à chaque contact, à chaque pénétration, à chaque giclée de sang.
Elle riait si fort et avec tant d'intensité que la garde elle-même, brandissant leur lance, se mirent à trembler de peur.
- Mon Seigneur, fit Lilith amusée, que puis-je dire d'autres ? Me croyez-vous maintenant ?
Ainsi est-ce la petitesse et l'étroitesse d'esprit des êtres humains ? L'expérience seule semble mieux valoir que tous les discours. Quand je pense aux Anges et à leurs beaux discours, il semblerait qu'ils aient appris des humains avant notre guerre.
Pendant qu'elle jubilait à retirer chacune des flèches sur son corps, que les pointes des lances s'étaient levées devant elle, Lilith s'empressa de reprendre :
- Mon Seigneur, comme je vous l'ai dit, je suis différente des congénères que vous m'avez décrit. Si vous acceptez de m'enrôler, je suis prête à vous servir sans m'en prendre ni à vous ni aux vôtres.
- Que... balbutiant, le Seigneur voyait la peur dans le regard de ses soldats. Qu'est-ce que vous voulez ?
- Je ne cherche qu'à comprendre. Donnez-moi une épée, donnez-moi une armure, expliquez-moi le monde sur lequel vous régnez, sur lequel votre Empereur règne, et je quitterai ce lieu sans n'emporter personne avec moi. Voici mon souhait et ma seule parole.
Va-t-il se raviser, maintenant qu'il a fait l'expérience de l'immortalité ? Devrais-je vraiment les laisser en vie ? Sans ma force et sans les connaissances, je ne me risquerais pas à me mettre à dos toute l'humanité. Mieux vaut-il que je tisse des liens, même fragiles, afin que je puisse tirer profit de cette rencontre. Avec une épée, je pourrais sans doute retrouver mes capacités aux combats. Il me faut vérifier avoir hérité des réflexes et du savoir martial.
Tandis que Lilith s'approcha des lanciers, elle lâcha l'ensemble du paquet de flèches qu'elle avait retiré de son corps et dont les blessures avaient toutes déjà cicatrisées.
- Mon Seigneur, que décidez-vous ? Reprit-elle en touchant une lance du bout du doigt.
- C'est d'accord. Affirma le chef de guerre essoufflé par la pression mentale qu'il venait de ressentir en voyant sa vie et celles des siens ne tenir qu'à un fil.
Le Sabre
Voici donc l'armure qu'il m'a été mise à disposition ? Ces humains sont vraiment des incapables. Considérer que les femmes n'ont pas leur place sur le champ de bataille, alors que Lillith elle-même était l'une des plus féroces guerrières des Enfers. Voici donc à quoi en est réduit la médiocrité humaine... Que pourrais-je bien faire d'une armure d'homme pour le corps qui est dorénavant le mien ?
Toutefois, ce sabre-ci, me semble de très bonne facture. D'ailleurs, il semblerait que le forgeron de ce sabre ne soit pas n'importe qui. La gravure de la lame est imprégnée de magie électrique et de feu. Se pourrait-il que ce monde regorge bel et bien d'énergie ? Il ne m'a pourtant pas semblé que ces gens en utilisaient une once quelconque.
D'un pas lourd, le Seigneur des lieux approchait. La garde armée faisaient trembler le sol parqué tandis que Lillith s'empressa de rangainer l'épée et de l'attacher à sa ceinture.
- Lillith ! S'écria le Seigneur qui entra avec fracas dans l'armurerie, nous avons besoin de vous !
- Pourquoi donc un tel vacarme mon Seigneur ?
- Je vois que vous avez trouvé une épée qui vous corresponde. Hélas, des démons dont vous réfutez faire partie continue d'attaquer nos voies commerciales. Cela fait déjà 3 jours que nous sommes bloqués par ces assaillants. Si vous nous prêtez main forte, je vous assure un laisser-passer pour les avant-postes du territoire.
Un laisser-passer dit-il ? Cela a-t-il véritablement une quelconque valeur si c'est détenu par mon espèce ? Mais ma foi, voilà une opportunité de tester cet équipement.
S'approchant du Seigneur, il lui fit la révérence et affirma qu'il allait s'occuper de la menace. Il reviendrait après quoi avec la preuve de ses victoires pour acquérir la récompense qui lui a été promise.
Alors c'est ainsi que naîtra ma notoriété dans ce monde. Des petites quêtes pour des petits seigneurs, et plus tard, si ma force me revient, je pourrais conquérir le monde.
Empruntant les pistes qui lui avaient été reportées, Lillith trouva bien assez tôt un avant-poste abandonné où des temples en piteux état masquait la respiration lente et retenus des bêtes qui tenaient une embuscade. Mais le Diable n'avait guère l'intention de se précipiter. Bien au contraire, cette escapade lui donnait l'occasion de vérifier les paroles qu'il avait reçu du Seigneur un peu plus tôt, avant de partir.
Bien que l'existance d'énergie telle que je la vois émanée de ce sabre ne semble pas être visible pour le commun des mortels, ces hommes m'ont toutefois assuré que cette épée était une relique gardée d'une ancienne guerre, et que les gravures du forgeron sur la lame n'était référencée dans aucune archive que le Seigneur ait eu à sa connaissance. À cause de cela, cette épée n'avait jamais été portée depuis, signe d'un malheur ou d'une malédiction quelconque. Mais à présent que je la tiens, je suis sûr que cette épée n'est pas une épée normale. Je le sens jusqu'au profond de mes cornes.
Maniant l'épée ça-et-là, Lillith recouvra peu à peu ses compétences martiales lui permettant de manier l'épée avec une agilité inhumaine. Mais tandis qu'il tranchait l'air, il remarqua que la lame se mettait à briller d'un bleu intense quand elle frôlait une flaque d'eau. Au contraire, un orange de feu apparaissait en présence de chaleur ou de feu. Persuadée que cette épée renfermait un pouvoir bien plus grand, Lillith se mit à crier de toutes ses forces, poussant les monstres aux alentours à venir à elle.
« Est-ce là donc la misérable force démoniaque qui fait peur aux humains ? N'y a-t-il que des lâches ? Craignez-vous une femelle ? Est-ce cela qu'être démon ? Quelle bêtise ! Comment un humain pourrait avoir peur de monstres si faible ! »
Ainsi les voilà qui sortent de leur cachette. La provocation est toujours une arme à double tranchants. Et bien qu'ils soient une demi douzaine à sortir de l'ombre, aucun d'entre eux ne semble à la hauteur de mes espérances.
- Que fais-tu ici, femelle ! Ta place est auprès du roi. Laisse-nous dévorer ces humains, ou alors tu nous serviras d'appas.
- Il me semblait bien que les mâles, qu'importe l'espèce, était toujours les plus bêtes et les plus faibles d'entre tous. Ricanna Lillith qui s'impatientait.
- Misérable ! Puisque tu ignores quelle est ta place, femelle, nous allons te montrer comment obéir à tes maîtres.
Mais avant que le sabre n'ait pu trancher la chaire de l'un d'entre eux, un être bien plus imposant fit son apparition. Il s'agissait là d'un démon supérieur, et tous les autres s'inclinèrent devant sa présence à l'exception du Diable. Ce dernier, quant à lui, se mit à rire aux éclats. Il ria si fort qu'il se fit remarqué par le géant, mais cela ne l'arrêta pas de rire encore et encore.
« C'est donc ainsi que cela se passe ! Voilà donc ce que l'on attend de moi ? » S'écriait le Diable en se tenant la tête entre les mains et en riant nerveusement. « Le béhémot se tient devant moi, mon esclave des guerres passées, et je me tiens aujourd'hui devant lui pour le défaire comme jadis ? Alors qu'il en soit ainsi, puisque je suis ici pour reconquérir une vie qui m'a été ôtée, alors soit ! »
Brandissant l'épée vers le monstre qui l'accompagnait jadis sur les champs de bataille, il sentit que ses cornes grandissaient au fur et à mesure que son intention de tuer grandissait. L'épée quant à elle luisait d'une énergie vive et il ressentir au plus profond de lui que des capacités en sommeil se révélèrent de nouveau pour lutter contre l'adversaire.