La Tempête se lève
Kyris s'était effondrée de fatigue après quelques heures à faire naviguer la frégate toute entière à sa seule force. Davon, son lieutenant, était bien incapable de faire avancer davantage un navire aussi grand et imposant, sans parler de la direction approximative qu'il risquerait d'emprunter à présent. Et pour ne pas arranger les choses, une tempête s'annonçait devant eux.
Davon ordonna de larguer les canons autant que faire se peut avant que la tempête ne leur arriva dessus. Les voiles remontées, le vent serait là d'un instant à l'autre et s'en défaire serait certainement la chose la plus dangereuse qu'ils aient eu à vivre depuis des semaines, sans l'aide de leur Capitaine.
Bien qu'une cinquantaine de batterie de canons furent éjectées dans les fonds marins avant que les premières vagues n'arrivèrent à la coque du navire, ce dernier n'en restait pas moins très haut et très large. Il serait sans aucun doute frappé de part et d'autre. Mais cette nuit-là, pour l'équipage, le seul objectif était de survivre.
Quand les orages furent au-dessus d'eux et que la tempête fit rage, Davon manqua presque de passer par dessus bord pour rattraper un noeud qu'un matelot avait oublié de fixer correctement. Quand il rejoignit le reste des marins en soute, il était méconnaissable, trempé jusqu'aux os et recouvert d'écumes et d'algues. C'était là une bonne nouvelle, s'ils arrivaient à passer le cape. Ils s'accrochèrent en fil indienne aux poutres intérieures de sorte qu'aucun ne puisse se retrouver seul, emporté, tandis que la capitaine inconsciente avait été ligotée.
Des heures durant, ils luttèrent, espérant que le vaisseau ne se retourna pas.
Quand les secousses cessèrent et que le grognement du tonnerre s'éloigna enfin, ils purent sortir sur le pont pour observer les dégâts. C'était là un étrange spectacle, car les mâts et les voiles avaient tous été arrachés, et à leur place, des tonnes d'algues avaient recouverts le pont.
Les dégâts du navire étaient tels, que Davon songea qu'il n'était désormais plus possible de naviguer avec. Quant aux algues, cela devait justifier qu'une côte avait été balayée de ses déchets non loin aux alentours. Toutefois, sans mât pour guêter l'horizon, c'était peine perdue de tenter de s'y rendre en canot.
Abattu, Davon rentra dans la cabine de la Capitaine, et s'approcha de sa cheffe qu'ils avaient réinstallé là.
« Capitaine, dit-il à voix basse et désespéré, qu'allons-nous devenir si vous ne vous réveillez pas ? Le navire n'est plus qu'une épave et nous ignorons où nous sommes et quelle direction suivre. »
Mais tandis qu'il désespérait de se retrouver seul et perdu, un matelot s'écria sur le pont, accusant que les problèmes n'étaient guère finis.
- Des pirates ! Des pirates lieutenant ! S'écriait-il. À babord ! Des pirates !
- Tous à vos postes ! Prenez les armes ! Se reprit Davon qui retourna chercher ses affaires en cabine.
- Lieutenant, nous n'avons plus de canons, tout est en mer !
- Ils doivent nous avoir observé depuis l'extérieur de la tempête. Sans mât, ils savent que nous sommes vulnérables. Que tout le monde se prépare à l'abordage !
- Nous aurions dû garder les armes de l'Empire. Fit un autre.
- Soyez prêts ! S'exclama Nalek brandissant son épée.
Davon se mit le plus haut possible du pont et s'adressant à son équipage, il leur demanda de ne pas trahir leur capitaine. Pour la protéger, comme elle les avait protégé auparavant, il leur demanda à tous de le désigner comme seul Capitaine à bord. Afin de protéger Kyris, Boris et James déplacèrent la Capitaine en soute et la cachèrent derrière des tonneaux.
Quand le navire ennemi fut à porter de grappin, les cordes fusèrent et les planches en bois furent disposées entre chaque passerelle. Les pirates étaient armés de fusils ce qui empêcha l'équipage de Davon de riposter et durent déposer les armes aussitôt.
Le capitaine de l'ennemi était un homme d'une longue barbe noir, il boîtait sur sa jambe de bois droite et son épée faisait grincé le bois sur lequel il la laissait traîner.
- Voici donc un navire impérial en piteux état. Dit-il en observant les dommages. Mais ce n'est pas là un équipage de l'Empire. Êtes-vous des pirates ? Demanda-t-il.
- Nous ne sommes pas des pirates, mais des pêcheurs. Nous avons été dépêchés par l'Empire mais nos pêches sont infructueuses, comme vous pouvez le voir.
- Ah ! Me prenez-vous pour un idiot ? Quel lepêche était-ce quand vous jetiez vos canons à la mer plus tôt ? Qui est votre Capitaine ?
- C'est moi-même, répondit Davon qui faisait face.
- Capitaine, dites-moi plutôt ce que vous faites sur un navire impérial sans autorisation ? Y a-t-il des richesses que vous essayez de nous cacher ?
- Je l'admets. Mon équipage et moi-même avons été fait prisonnier par l'Empire puis la mer nous a libéré de l'oppresseur. Vous avez dû voir comme la tempête a été féroce.
- C'est un fait. Et vous prétendez qu'aucun marin de l'empire n'aurait survécu, mais vous autres, oui ? Puisque vous me prenez pour un idiot, nous allons voir lequel de ces matelots serait prêt à donner sa vie pour s'excuser de vos bêtises. Alors ? Qui d'entre vous est prêt à sacrifier sa vie pour son Capitaine ?
La vie de Davon entre les mains du Pirate
La fin du capitaine Davon
Comme le silence règnait, le pirate reformula sa question :
- Voici ce que je propose. Tout matelot qui rejoint mon équipage et me prête allégeance, se verra nourrit et traiter avec respect. Je n'ai que faire de votre honneur. Mieux vaut un homme solide et prêt à combattre, qu'une âme perdue en mer. Tous ceux qui refuseront de me rejoindre pourront couler en mer aux côtés de leur capitaine, une pierre à votre pied.
- Satané pirate ! Vous le paierez.
- C'est vous, capitaine de ce rafiot, qui allez payer. Allez chercher les trésors de ce navire, ordonna-t-il à quelques uns de ses matelots, tandis qu'il tenait en joug Davon de sa longue lame.
- Je vous l'interdis ! Si vous voulez piller ce navire, il faudra d'abord me tuer !
- En voilà un capitaine bien téméraire. Puisque c'est ainsi, vous montrerez l'exemple. Agus, appela-t-il, va me chercher mon canon !
- Votre canon ?
- Donnez-moi votre nom. Il y a un code, mon garçon, et pirate ou pêcheur, personne n'échappe au code sur les mers.
- Je suis le Capitaine Davon. Vous pouvez mettre votre code où je pense.
- Ce code, Capitaine Davon, va aller droit dans votre tête. En parlant de ce code, je me nomme Erfarin, Capitaine Erfarin. Voici le nom de l'homme qui va vous ôter la vie.
Agus revint avec une boîte ornée d'or, dans laquelle se trouvait un revolver d'or, une balle ronde et de la poudre à canon. Le matelot l'assembla pour son capitaine tandis que ce dernier demanda à Davon de reculer de quelques pas et d'affronter fièrement la mort, donnant l'exemple à son équipage.
« Auriez-vous une dernière parole, jeune homme ? »
L'équipage s'effrayait de voir la scène prendre cette tournure si vite. En quelques instants, leur lieutenant s'était positionné en cible prioritaire pour défendre la Capitaine. C'était une scène belle mais triste qu'aucun n'osait contredire.
« Puisque c'est ainsi, le silence vous accompagnera dans les profondeurs de la mer. »
La bougie se mit à fumer, se consummant jusqu'au compartiment de la poudre à canon, où le coup de feu partit. La déflagration projeta le bras de l'attaquant vers le ciel, tandis que la bille d'acier pourfendit l'air, brûlant le veston du lieutenant et perforant sa poitrine droite de part et d'autre avant de finir sa course sur le sol. Davon, quant à lui, s'effondra, face contre sol, baignant dans une marre de sang qui grandissait de seconde en seconde.
« Il est toujours aussi difficile de viser juste avec cette arme, s'étonna le pirate. Range-moi ça Agus. »
Les cris d'effrois et les pleurs de l'équipage retentirent et méprisant l'assassin, ils s'agitèrent de colère prêts à se battre. Et tandis qu'Erfarin se retourna pour regarder l'agitation et donner l'ordre de se taire, la porte de la soute s'ouvrit.
Kyris, qui pénait à marcher correctement regarda la scène devant elle de son regard attendrissant, quand elle vit soudainement Davon au sol, dans une marre de sang.
« Qu'est-ce que... »
Elle leva les yeux vers l'équipage qui pleurait et s'agitait, puis vers Davon et enfin les étrangers tout autour d'eux. En un instant, son regard se changea, elle comprit la situation et la détonation qui l'avait sortit de son repos. Son humeur changea, ses larmes se mirent à couler et son énergie s'échappa de tout son corps. Sa tristesse et sa colère prirent l'avantage sur sa gentillesse, et dans un excès de peine, elle libéra une partie de sa puissance.
Ses pieds se mirent à brûler la surface du sol tandis qu'elle s'avança pas à pas vers l'assassin.
Kyris en pleur
Le Pirate s'empressa de recharger l'arme qu'il avait remis dans la boîte en voyant l'aura meurtrière s'échapper de la femme. Il ignorait ce qu'elle était, mais du plus profond de ses entrailles, il n'avait jamais ressentis une pareille peur. S'il n'avait pas été aussi vieux et expérimenté, il n'aurait jamais pu avoir la force mentale de bouger le petit doigt. Tremblant de terreur, il réussit à insérer une autre bille dans le canon, mais l'engin brûlait si fort qu'il se mettait à fondre sur ses membres. Bien que la douleur fut intense et que la ferraille s'unit à sa chaire, il restait terrifié à l'avancée de cette femme vers lui tandis que ses pas en fusion faisaient fondre le bois à son contact.
Une lumière aveuglante et orangée émanait de ce corps vengeur et les larmes qui s'échappaient de ses yeux finissaient par s'évaporer. Elle resserra le poing fermement, s'apprêtant à abattre sa justice sur ce monde. Dans le ciel, on pouvait voir que les cieux s'embrasaient comme si une divinité allait raser l'océan de la carte. Mais quand son pied frôla le corps de Davon, ce dernier attrapa sa cheville comme un dernier effort de rédemption.
Elle s'arrêta aussitôt, ses yeux reprirent des couleurs et son corps cessa de luir. Elle s'empressa de s'agenouiller aux côtés de Davon et vit la balle à ses côtés. Elle lui était passée au travers. La poigne de l'homme ne se desserrait pas de la cheville de sa Capitaine, alors Kyris y vit encore l'espoir de le sauver. Elle fit fi de tout ce qui l'entourait, de son équipage comme celui de l'ennemi, et se pencha vers Davon, apposant ses mains sur la blessure, insufflant toute l'énergie nécessaire pour cautériser la plaie des deux côtés.
Kyris soigne Davon
En même temps, Erfarin ordonna à son équipage de revenir sur leur bâteau pour fuir, mais aucun n'osait plus bouger depuis qu'ils avaient été traversés par la vague d'énergie meurtrière de Kyris. Le temps semblait s'être arrêté tandis que des larmes de sang coulaient des yeux de Kyris jusqu'à ce que ce soit finit.
Ce fut un miracle, Davon toussota avec difficulté et reprit connaissance. L'équipage s'attroupa autour de lui et pleurait de culpabilité et de pardon. Ils remercièrent leur Capitaine d'être revenue à elle et pièrent qu'elle leur pardonnerait. Mais Kyris n'avait que faire d'une telle culpabilité, seul le pirate en était la cause. Elle se releva et tendit sa main vers sa cabine d'où son épée vola. Au contact de la poigne, l'épée toute entière se mit à flamber. Elle n'en avait pas finit avec lui.
Bien que les autres la virent s'éloigner, ils aidèrent Davon à se redresser et le supplier à son tour de les pardonner. Mais Erfarin, épée tendue d'une main, tandis que l'autre n'était plus qu'un composite d'or, de poudre et de chaire, savait qu'il ne pourrait rien contre une telle force de la nature.
« Qu'est-ce que vous êtes ! » S'écria-t-il à l'approche de la femme. « Je... Je ne voulais pas le blesser. Juste l'intimidé. J'ai visé son épaule exprès. Écoutez-moi ! Écoutez-moi ! »
Mais Kyris était sourde de toutes ces excuses. : « Je suis... la Capitaine de cet équipage. Nul ne restera impunis d'avoir blessé mon... Davon. »
Elle brandit son épée au-dessus de sa tête, ci-bien que toute l'énergie qui l'entourait jusqu'alors s'émancipa en une ombre rougeoyante et divine qui brûlait les cieux.
« Capitaine ! S'écria Davon de toute ses forces, arrêtez... Vous n'êtes pas cette personne là. Vous êtes notre chaleureuse et attendrissante... Capitaine. » Lança Davon entre deux toussotements ensanglantés. « Revenez parmi nous... Capitaine. »
Des larmes au feu qui s'étaient emparés de l'esprit de Kyris, seule la voix de Davon l'atteignit. Il n'en fallut pas plus pour qu'elle s'arrêta là, rabaissant son bras vengeur et se destituant de sa combustion. Elle ferma les yeux et tandis que le ciel se mit à pleuvoir, elle recouvra son sang froid.
- Votre bâteau est maintenant le mien. Que je ne croise plus jamais votre chemin. Dit-elle aux pirates.
- J'invoque le Code des marins. Répondit Erfarin voyant la frégate en piteux état. Nous nous faisons prisonniers.
- Ainsi soit-il. Répondit-elle sèchement.
Kyris Vengeresse
11/12/2023